lundi 25 juillet 2016

La mélodie des bois

Version initiale publiée en 2012 sur le madtelier d'écriture.
Version retravaillée publiée en 2013 dans l'anthologie Sales Bêtes ! (Éditions des Artistes Fous).

Re-publiée en CC0 pour le Ray's Day 2015 (erratum du 09/08/2016, je me suis rendu compte après publication de la mauvaise licence :p).


 

La mélodie des bois


L’année de ses sept ans venait à peine de débuter. Il les avait fêtés juste avant de monter à bord du vaisseau qui les amenait à leur nouveau foyer. Un super anniversaire ; le dernier sur Terre. Tous ses amis du CP étaient là, et aussi ses cousins, et Ficelle. Il avait ensuite quitté la planète et ses amis avec ses parents. Il avait dû abandonner Ficelle, son chien et meilleur ami, qui n’était pas le bienvenu à bord de leur nef stellaire. Papa lui avait expliqué pourquoi Ficelle devait rester à la maison ; il ne fallait pas ajouter des animaux sur leur nouvelle planète tant que Papa n’aurait pas fini d’étudier ceux déjà présents. Mais après, c’est promis, Ficelle pourra venir. Mais en attendant un « après » vague, Félix était tout seul.
Il n’avait pas hâte d’être à son prochain anniversaire ; ses amis ne pourraient pas venir, ni ses cousins, ni Ficelle. Il avait une nouvelle école, avec de nouveaux camarades. Mais ce n’était pas pareil, ils n’étaient pas très nombreux dans la colonie qui ne comptait que quelques scientifiques et leurs familles. Et la nouvelle maîtresse était bizarre. Pas méchante, juste bizarre ; Félix ne l’aimait pas beaucoup. Il n’aimait pas beaucoup l’école. Et à la maison c’était pire. Papa et Maman travaillaient beaucoup, alors ils étaient fatigués ; trop fatigués pour jouer avec lui. Et comme Ficelle n’était pas là, il jouait tout seul dans le jardin.
Leur nouveau jardin était bizarre, la nouvelle maison était bizarre et leur nouvelle planète était bizarre ; comme l’école et la maîtresse. C’est normal disait Papa, tout est extraterrestre, il faut s’y habituer. Papa avait les animaux, Maman avait les plantes ; lui avait le jardin et son ballon. Et pas de chien pour courir après la balle. Ficelle adorait le foot, il poussait le ballon de sa truffe pour la ramener à son petit maître.
Le jardin bordait une forêt de grands épineux, semblables à d’immenses sapins de Noël pourpres. L’herbe aussi était pourpre et avec le soleil levant, le décor et le ciel prenaient toutes les teintes du rose au noir. Papa savait pourquoi le ciel était toujours rouge ou violet – Papa savait toujours tout ; Félix avait retenu que c’était parce que l’air n’était pas vraiment comme sur Terre et que le soleil n’était pas vraiment non plus comme le soleil qu’il connaissait avant. Félix n’avait pas le droit de quitter le jardin ; parce que tu comprends, on ne connaît pas encore bien cette planète. Félix ne comprenait pas vraiment comment on pouvait mieux connaître quelque chose si on n’avait pas le droit d’y aller. Les choses amusantes étaient toujours réservées aux grandes personnes.
Félix avait tiré trop fort. Le ballon roulait trop sur l’herbe humide de rosée matinale. Il avait rapidement dépassé le portique à balançoire installé par ses parents pour aller se perdre à la lisière de la forêt. Tu ne dois pas entrer dans la forêt, c’est dangereux disait Papa. Fais bien attention à tes affaires disait Maman. Et Félix se retrouvait tiraillé. Mais son ballon était concret, bien plus que ce danger évoqué par son père, et surtout il y tenait ; il avait abandonné ses amis, il n’abandonnerait pas ses jouets aussi facilement.

Le vent dans les branches faisait onduler les ombres et tomber les épines dans un concert de frottements. Tant qu’il ne s’aventurait pas trop loin et qu’il restait en vue de la maison, rien ne pouvait vraiment lui arriver. Les aiguilles végétales formaient un tapis qui craquait sous ses pas mal assurés. Son ballon ne pouvait pas avoir roulé bien loin, mais l’orée de ces bois était pleine de recoins ombrageux où il aurait pu disparaître. Une sorte de champignon explosa sous son pied dans un bruit proche d’une flatulence qui le fit beaucoup rire. Il fallait tout de même qu’il fasse plus attention où il mettait les pieds ; il ne voulait pas écraser de fleurs, d’autres végétaux ou de petits animaux. Il faut respecter la nature qui nous entoure ; c’est notre nouveau foyer. Et quoi que ça pût vouloir dire, ne répétons pas les mêmes erreurs.
La sphère noire et blanche n’était qu’à une dizaine de mètres de la lisière. Elle était d’ailleurs plutôt noire et rouge sous cette luminosité. Gnininini. Le ballon n’était pas seul. Une boule de poils roux d’environ quarante centimètres de haut se tenait juste derrière ; ne dominant la balle que d’une tête. Mais elle ne semblait pas avoir peur de Félix qui lui sourit.
« Salut, tu t’appelles comment ?
— Gnini
— Moi c’est Félix, Tu me rends ma balle ? »
Après moult tractations et explications, impliquant beaucoup de mime, la créature sembla comprendre ce que l’enfant attendait d’elle et donna un coup de pied énergique dans le ballon, le renvoyant jusqu’au jeune humain. Le petit animal sembla conquis par l’expérience et se mit à sautiller en agitant les mains et en poussant de petits cris. Gnininini. C’était au tour de Félix de jouer et il renvoya la balle à son compagnon de jeu.
Après quelques échanges, son nouvel ami sembla se désintéresser du football et se retourna pour s’enfoncer dans la forêt. Le jeune humain, attrapant son ballon sous le bras, entreprit de le suivre. Bien que rapide pour sa taille et ses petites pattes, l’autochtone n’était pas trop dur à suivre. Et ils continuaient à s’enfoncer. Désormais Félix ne voyait presque plus la maison avec tous ces troncs. Mais ce n’était pas compliqué de rentrer : ils n’avaient fait qu’aller tout droit.

Une ombre passa à la périphérie de son champ de vision. Puis une autre. Au début il mit cela sur le compte du vent dans les branches qui continuait de faire onduler les ombres et tomber les épines dans un concert de frottements. Mais ces ombres n’étaient pas synchrones avec le vent. Et leur musique n’était pas seulement faite de frottements ; de petites voix venaient combler ces harmoniques. Comme un chœur de piaillements ; à mi-chemin entre le chant des oiseaux et les rires d’enfants. Gnininini.
Il finit par voir une tête émerger derrière un tronc avant de replonger hors de vue, puis une seconde un peu plus loin, puis une troisième. Bientôt les créatures ne cherchèrent plus à se dérober à sa vue. Il y en avait deux douzaines autour de Félix. Toutes d’une taille sensiblement identique à son premier compagnon, avec des pelages couvrant toutes les teintes du roux au brun. Assez nombreux pour faire un match, mais il y avait trop d’arbres pour faire un terrain convenable.
Le chant de ces extraterrestres avait monté d’un cran depuis qu’ils avaient décidé de se révéler. Avec l’étrange réverbération du son sur les troncs, cet hymne était presque assourdissant et semblait faire bouger les branches à l’unisson du vent. Gnininini. Ils l’accompagnaient d’une petite danse, sautillant sur leurs courtes pattes en agitant rapidement les bras. Félix, le sourire aux lèvres, les accompagnait dans cette joie communicative, sautillant lui aussi et applaudissant de ses mains.

Un cri se détacha du chœur. Gniii. Les chants s’arrêtèrent. Et les chanteurs arrêtèrent également toute activité séance tenante. Seule se poursuivait la musique du vent dans les branches qui continuait de faire onduler les ombres et tomber les épines dans un concert de frottements. Difficile de déterminer qui était le meneur qui venait de sonner la fin de la récréation. Mais toutes les créatures se retournèrent dans un même mouvement et se mirent à trottiner, s’enfonçant encore plus profond dans la forêt.
Félix suivit le mouvement.
Une nouvelle mélodie accompagnait leur progression. Les paroles ne changeaient pas mais la musique était un peu plus entraînante encore. Gninini. Félix ne se posait pas de question, ses nouveaux amis avaient quelque chose à lui montrer et il trépignait d’impatience ; en rythme.
La luminosité augmentait à mesure qu’ils avançaient. Félix réalisa alors que l’heure devait avoir avancé et qu’il allait être en retard pour aller à l’école. Il allait se faire gronder. Il fut tenté de rebrousser chemin et courir. Mais qu’il parte maintenant ou plus tard il serait de toute façon en retard pour aller à l’école. Et il serait grondé de la même façon. Alors autant continuer à suivre les étranges créatures, il pourrait bien rentrer ensuite.
Si la lumière leur parvenait de mieux en mieux c’est que la concentration d’arbres diminuait. Le houppier était de plus en plus clairsemé. Félix s’appuya sur un tronc le temps de reprendre son souffle ; la sève qui se déposa rose foncée sur sa main ne semblait pas résineuse, ce qui l’étonna grandement.
Devant lui les arbres semblaient s’écarter pour laisser son regard passer et révéler la présence d’une clairière. Enfin un terrain de jeu convenable pour faire un match de foot avec ses nouveaux amis.

Une cabane mauve trônait au centre de la clairière. Le vent soufflait toujours mais on n’y voyait plus les ombres onduler et on n’y entendait plus les frottements des épines qui tombent ; il émettait tout juste un petit sifflement en faisant danser ce qui ressemblait à des brins d’herbe comme une surface liquide. Tous ces bruits étaient ceux de la forêt qu’ils laissaient derrière eux.
Félix fut invité à poursuivre son exploration jusque dans l’étrange bâtisse. Une improbable construction aux murs rose foncé qui ressemblaient à de la sève solidifiée. Une ouverture dans le plafond faisait office de puits de lumière, sans grande réussite. Seuls les murs laissaient passer une lumière diffuse à travers leurs fissures qui dessinaient la carte d’un territoire imaginaire.
Le sol était plat et solide ; suffisamment pour faire rebondir sa balle. Ce dont il ne se priva pas. Ses nouveaux amis semblèrent amusés de cette étrange trajectoire et accompagnèrent le dribble de l’enfant d’applaudissements maladroits et de vivats tandis que l’écho du rebond faisait vibrer l’air. Gninini.
Il se demandait à quoi pouvait bien servir cette cabane. Les fournitures étaient trop peu nombreuses pour en faire un lieu d’habitation. C’était peut-être un abri ; Félix avait pu le remarquer depuis son arrivée, les tempêtes sur cette planète étaient particulièrement violentes. C’est pour ça que les arbres ont des troncs si massifs. Et que les créatures se sont construit cet abri.
C’est en tout cas ce qu’il avait supposé. Il ne voyait pas qui d’autre aurait pu le construire. Ils se comportaient comme s’ils étaient chez eux. Et Félix était leur hôte d’honneur.

Félix n’avait pas peur. Il n’aurait peut-être plus jamais l’occasion de fêter un anniversaire sur Terre mais il n’était pas triste. Il avait oublié le chemin de la maison, mais il n’oublierait jamais la mélodie des bois.

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