dimanche 11 septembre 2016

Vol au-dessus d’un lit de caca

Nouvelle initialement publiée dans Les contes marron vol. 1 (Éditions des Artistes Fous) en 2014.

Vol au-dessus d’un lit de caca


Il paraît que la guerre c’est moche. C’est surtout une question de perspective : de quel côté du canon on se trouve. Un ventre qui explose et se répand en tripes-à-l’air, c’est plutôt une scène amusante à vivre ; tant que ce ne sont pas ses propres tripes qui jouent le vol-au-vent... option « j’ai laissé la cuillère en métal dedans en le mettant au micro-onde ».
Jusqu’à ce qu’on se trouve du mauvais côté du canon...
Nous partîmes cinq cents ; mais par une prompte débâcle, nous nous vîmes cinquante au point d’extraction. Les moins handicapés portaient ceux qui avaient un fragment de métal lové délicatement contre la moelle épinière – ce qui était mon cas.

Laissez-moi me présenter... non, en fait on s’en fout ! Je suis juste le type qui s’est trouvé pendant des années du bon côté du canon pour finir du mauvais. Shit happens, comme aiment à le dire les anglo-saxons. Et quand une balle mal placée te fait perdre le contrôle de ton sphincter, « la merde arrive » n’est plus une métaphore.
Qui a déjà séjourné à l’hôpital sait que malgré tous les efforts du service soignant, c’est déprimant à se tirer une balle ; le seul cas où être du bon côté du canon n’est pas suffisant. Un médecin passe en coup de vent – pas plus de cinq minutes par jour – histoire de regarder un dossier d’un air profond en hochant la tête et en faisant d’étranges grimaces en maugréant. Puis les infirmières passent toutes les cinq minutes pour vous laver au gant, vous torcher le cul, changer vos draps ou vos vêtements merdeux, ou juste vous nourrir ou apporter de quoi calmer la douleur.
La seule différence dans un hôpital militaire est le grade des personnels soignants. Je vous laisse imaginer en quoi c’est pire. Donc comme dans tout bon hôpital ils sont en sous-effectifs et dès qu’ils ne peuvent plus rien pour vous ils vous renvoient chez vous. Avec un fauteuil roulant et une importante réserve de couches pour adulte dans mon cas.

L’un des avantages de notre pays c’est son système de santé. Et on le ressent quand on n’a qu’une pension d’invalidité minable et le besoin d’une infirmière à domicile, même à temps partiel. Une assurance sociale est ce qui me permet de me différencier d’un clochard sous un pont, pour la simple raison que je n’ai pas besoin de me cuiter pour me chier dessus.
Plusieurs se sont succédé. Vieilles, jeunes, moches, belles, même un homme une fois. Quand on a renoncé à sa fierté ça ne fait pas une grande différence de qui nous torche le cul. Elles sont toujours professionnelles, on ne peut pas leur retirer ça. Et du professionnalisme il en faut pour changer les couches d’un adulte incontinent, pendant l’hiver et ses gastros comme l’été et ses canicules qui subliment les odeurs.

Mais celle-là – Sarah je crois, ce n’est pas son prénom qui m’a laissé un souvenir impérissable – fut différente. C’était une remplaçante qui venait pour la première et dernière fois. Mais des fois un seul instant suffit à nous marquer ; il paraît qu’il est important de faire une bonne première impression. Elle a réussi à me faire une très bonne première impression.
Je ne sais pas si elle avait l’impression de faire une bonne action en satisfaisant un de mes besoins qui n’existait plus ou si elle avait juste un fantasme morbide pour les infirmes... Elle tenta de mettre le petit soldat au garde-à-vous sans grand succès. Ledit soldat était mort au champ de bataille, de la même balle que le contrôle de mon sphincter.
Pourtant elle y mettait du sien, se dénudant lascivement, découvrant doucement de superbes courbes, jouant avec ses longs cheveux bruns à couvrir et découvrir l’échancrure de sa poitrine, m’aguichant en plongeant ses yeux verts dans les miens tandis qu’elle m’ôtait mes vêtements avec un sourire gourmand – y compris la couche, ce qui est moins sexy, même si elle était propre à ce moment. Rien n’y fit, ni ses déhanchements, ni ses caresses, ni les pilules qu’elle m’avait fait avaler et qui ne réussirent qu’à faire palpiter mon cœur un peu plus vite.
Alors qu’elle s’apprêtait à se résigner je pris les initiatives. Peut-être avait-elle perdu le pari fait avec des collègues de réussir à réveiller le mort, ce n’était pas une raison de ne pas bénéficier d’un lot de consolation. J’ai longtemps été habitué à réfléchir avec mes couilles, maintenant que plus rien ne fonctionne sous la ceinture le cerveau peut prendre le relais. Et si mon sexe ne fonctionne plus, ce n’est pas le cas de mes mains.
Ma langue parcourait les recoins de son cou tandis que mes mains descendaient de ses seins, suivaient la courbe de ses hanches et de son ventre pour atteindre ses fesses, lui arrachant de petits gémissements. Je la voyais s’activer tout autant mais ne sentait pas ses mains qui fouillaient en deçà de la limite de mes sensations. Elle pouvait bien faire ce qu’elle voulait de moi, j’avais perdu mes dernières inhibitions avec ma dignité.
Quand mes doigts plongèrent doucement dans la cavité humide, je sentis la cyprine déjà abondante couler dessus, mais c’est autre chose que sentis mon odorat. Merde ! Au sens propre, contrairement à la réalité de l’événement.
Loin d’être dégoûtée, l’infirmière semblait apprécier. Elle se saisit des matières fécales et commença à se caresser avec, se frottant à mon sexe rabougrit couvert d’excréments avant d’en fourrer un étron entre les lèvres, tel un substitut phallique. La situation m’aurait peut-être choqué quelques années auparavant et aurait été un frein à ma libido, mais cette dernière était déjà au plus bas et, encore une fois, j’avais dit adieu à ma dignité depuis longtemps.
À la frontière de l’écœurement je touchai un état proche de la décorporation. Je survolai la scène avec détachement et excitation ; de ces situations dont seuls les oxymores peuvent effleurer la définition. Et tout ce que mon corps était incapable de ressentir, mon imagination en était capable. Et sans terminaisons nerveuses et leur carcan de douleur, les griffures et morsures avaient la force et l’érotisme de mille caresses. Mon corps était handicapé, pas mon cerveau ; et ce dernier n’avait pas besoin du reste pour éprouver la jouissance et libérer l’influx d’endorphines. Et je m’abandonnai dans une satisfaction extatique que je n’avais plus ressenti depuis longtemps et n’ai plus jamais ressenti depuis.

Sarah n’est jamais revenue... Elle n’a laissé aucun moyen de la contacter et c’est probablement mieux ainsi. Il ne me reste que des souvenirs que mon incontinence ravive à chaque instant et qui la rendent un peu plus supportable moralement. Une anecdote que je n’aurais pas l’occasion de raconter à mes petits-enfants puisque je n’ai plus aucun espoir d’avoir un jour une descendance. Mais est-ce vraiment le genre d’histoire qu’on raconte à un enfant pour l’endormir ? Est-ce vraiment le genre d’histoire qui mérite d’être racontée à qui que ce soit ?

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