Vol au-dessus d’un lit de caca
Il paraît que la guerre c’est moche.
C’est surtout une question de perspective : de quel côté du
canon on se trouve. Un ventre qui explose et se répand en
tripes-à-l’air, c’est plutôt une scène amusante à vivre ;
tant que ce ne sont pas ses propres tripes qui jouent le
vol-au-vent... option « j’ai laissé la cuillère en métal
dedans en le mettant au micro-onde ».
Jusqu’à ce qu’on se trouve du
mauvais côté du canon...
Nous partîmes cinq cents ; mais
par une prompte débâcle, nous nous vîmes cinquante au point
d’extraction. Les moins handicapés portaient ceux qui avaient un
fragment de métal lové délicatement contre la moelle épinière
– ce qui était mon cas.
Laissez-moi me présenter... non, en
fait on s’en fout ! Je suis juste le type qui s’est trouvé
pendant des années du bon côté du canon pour finir du mauvais.
Shit happens, comme aiment à le dire les anglo-saxons. Et
quand une balle mal placée te fait perdre le contrôle de ton
sphincter, « la merde arrive » n’est plus une
métaphore.
Qui a déjà séjourné à l’hôpital
sait que malgré tous les efforts du service soignant, c’est
déprimant à se tirer une balle ; le seul cas où être du bon
côté du canon n’est pas suffisant. Un médecin passe en coup de
vent – pas plus de cinq minutes par jour – histoire de
regarder un dossier d’un air profond en hochant la tête et en
faisant d’étranges grimaces en maugréant. Puis les infirmières
passent toutes les cinq minutes pour vous laver au gant, vous torcher
le cul, changer vos draps ou vos vêtements merdeux, ou juste vous
nourrir ou apporter de quoi calmer la douleur.
La seule différence dans un hôpital
militaire est le grade des personnels soignants. Je vous laisse
imaginer en quoi c’est pire. Donc comme dans tout bon hôpital ils
sont en sous-effectifs et dès qu’ils ne peuvent plus rien pour
vous ils vous renvoient chez vous. Avec un fauteuil roulant et une
importante réserve de couches pour adulte dans mon cas.
L’un des avantages de notre pays
c’est son système de santé. Et on le ressent quand on n’a
qu’une pension d’invalidité minable et le besoin d’une
infirmière à domicile, même à temps partiel. Une assurance
sociale est ce qui me permet de me différencier d’un clochard sous
un pont, pour la simple raison que je n’ai pas besoin de me cuiter
pour me chier dessus.
Plusieurs se sont succédé. Vieilles,
jeunes, moches, belles, même un homme une fois. Quand on a renoncé
à sa fierté ça ne fait pas une grande différence de qui nous
torche le cul. Elles sont toujours professionnelles, on ne peut pas
leur retirer ça. Et du professionnalisme il en faut pour changer les
couches d’un adulte incontinent, pendant l’hiver et ses gastros
comme l’été et ses canicules qui subliment les odeurs.
Mais celle-là – Sarah je crois,
ce n’est pas son prénom qui m’a laissé un souvenir
impérissable – fut différente. C’était une remplaçante
qui venait pour la première et dernière fois. Mais des fois un seul
instant suffit à nous marquer ; il paraît qu’il est
important de faire une bonne première impression. Elle a réussi à
me faire une très bonne première impression.
Je ne sais pas si elle avait
l’impression de faire une bonne action en satisfaisant un de mes
besoins qui n’existait plus ou si elle avait juste un fantasme
morbide pour les infirmes... Elle tenta de mettre le petit soldat au
garde-à-vous sans grand succès. Ledit soldat était mort au champ
de bataille, de la même balle que le contrôle de mon sphincter.
Pourtant elle y mettait du sien, se
dénudant lascivement, découvrant doucement de superbes courbes,
jouant avec ses longs cheveux bruns à couvrir et découvrir
l’échancrure de sa poitrine, m’aguichant en plongeant ses yeux
verts dans les miens tandis qu’elle m’ôtait mes vêtements avec
un sourire gourmand – y compris la couche, ce qui est moins
sexy, même si elle était propre à ce moment. Rien n’y fit, ni
ses déhanchements, ni ses caresses, ni les pilules qu’elle m’avait
fait avaler et qui ne réussirent qu’à faire palpiter mon cœur un
peu plus vite.
Alors qu’elle s’apprêtait à se
résigner je pris les initiatives. Peut-être avait-elle perdu le
pari fait avec des collègues de réussir à réveiller le mort, ce
n’était pas une raison de ne pas bénéficier d’un lot de
consolation. J’ai longtemps été habitué à réfléchir avec mes
couilles, maintenant que plus rien ne fonctionne sous la ceinture le
cerveau peut prendre le relais. Et si mon sexe ne fonctionne plus, ce
n’est pas le cas de mes mains.
Ma langue parcourait les recoins de son
cou tandis que mes mains descendaient de ses seins, suivaient la
courbe de ses hanches et de son ventre pour atteindre ses fesses, lui
arrachant de petits gémissements. Je la voyais s’activer tout
autant mais ne sentait pas ses mains qui fouillaient en deçà de la
limite de mes sensations. Elle pouvait bien faire ce qu’elle
voulait de moi, j’avais perdu mes dernières inhibitions avec ma
dignité.
Quand mes doigts plongèrent doucement
dans la cavité humide, je sentis la cyprine déjà abondante couler
dessus, mais c’est autre chose que sentis mon odorat. Merde !
Au sens propre, contrairement à la réalité de l’événement.
Loin d’être dégoûtée,
l’infirmière semblait apprécier. Elle se saisit des matières
fécales et commença à se caresser avec, se frottant à mon sexe
rabougrit couvert d’excréments avant d’en fourrer un étron
entre les lèvres, tel un substitut phallique. La situation m’aurait
peut-être choqué quelques années auparavant et aurait été un
frein à ma libido, mais cette dernière était déjà au plus bas
et, encore une fois, j’avais dit adieu à ma dignité depuis
longtemps.
À la frontière de l’écœurement je
touchai un état proche de la décorporation. Je survolai la scène
avec détachement et excitation ; de ces situations dont seuls
les oxymores peuvent effleurer la définition. Et tout ce que mon
corps était incapable de ressentir, mon imagination en était
capable. Et sans terminaisons nerveuses et leur carcan de douleur,
les griffures et morsures avaient la force et l’érotisme de mille
caresses. Mon corps était handicapé, pas mon cerveau ; et ce
dernier n’avait pas besoin du reste pour éprouver la jouissance et
libérer l’influx d’endorphines. Et je m’abandonnai dans une
satisfaction extatique que je n’avais plus ressenti depuis
longtemps et n’ai plus jamais ressenti depuis.
Sarah n’est jamais revenue... Elle n’a laissé aucun moyen de la
contacter et c’est probablement mieux ainsi. Il ne me reste que des
souvenirs que mon incontinence ravive à chaque instant et qui la
rendent un peu plus supportable moralement. Une anecdote que je
n’aurais pas l’occasion de raconter à mes petits-enfants puisque
je n’ai plus aucun espoir d’avoir un jour une descendance. Mais
est-ce vraiment le genre d’histoire qu’on raconte à un enfant
pour l’endormir ? Est-ce vraiment le genre d’histoire qui
mérite d’être racontée à qui que ce soit ?
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