vendredi 19 août 2016

Tous les singes ne vont pas au paradis

Nouvelle initialement publiée en 2013 sur le madtelier d'écriture.
Version retravaillée publiée en 2013 dans Sales Bêtes ! (Éditions des Artistes Fous).
Republiée ici sous licence CC-by en juillet 2016 avant de passer en CC0 en août à l'occasion du Ray's Day 2016.

Tous les singes ne vont pas au Paradis


Personne n’avait bien vu ce qu’il s’était passé ; aucun témoin direct n’avait survécu. Quelques matelots avaient vu une ombre passer, de la taille et probablement du poids de plusieurs hommes, de la forme d’un gros singe. Tout le monde avait entendu les cris que la tempête ne suffisait pas à couvrir. Les cris de la bête ; et ceux des hommes et animaux massacrés. À cause des intempéries la plupart des officiers et des marins étaient calfeutrés dans les gaillards... Peu de ceux qui étaient de quart avaient survécu ; certains furent retrouvés déchiquetés sur le pont, d’autres avaient simplement disparu, le cadavre emporté par une vague ou ayant préféré tenter leur chance en plongeant au milieu de l’océan.
À l’aube, les deux chirurgiens descendirent en cale à la faveur des premières lueurs du soleil et d’une mer calmée. La cargaison n’y avait pas survécu : aucun des hommes parqués à l’avant ni des femmes et des enfants de l’arrière ; ni les animaux gardés pour fournir la nourriture du voyage. Tout n’était que chair sanguinolente et os brisés.

La journée s’annonçait horrible : il fallait se débarrasser de tous les cadavres avant qu’ils ne contaminent les victuailles restantes ; les corps des matelots, des esclaves et des animaux. Le capitaine était cloîtré en cabine et refusait toute requête. Perdre toute la cargaison était une catastrophe financière pour l’armateur ; mais pour le capitaine c’était la fin de sa carrière.

L’angoisse de la nuit à venir régnait à bord, car la bête y était forcément tapie, apportée au cœur d’un homme sûrement contaminé par la magie démoniaque qui régnait sur le continent africain. Les regards de l’équipage s’étaient tournés un temps vers « le nègre ». C’était sa première mission sur un bateau et il venait de ces contrées lui aussi. Mais il avait été baptisé, son âme ne pouvait pas être habitée par le démon. Et au moment de la tempête il était de corvée d’eau avec un mousse et le tonnelier. Ça ne pouvait être que l’un des esclaves. Et il fallait le débusquer avant que le soleil ne se couche pour céder place à la pleine lune qui, comme tout le monde le savait, baignait de sa lumière néfaste les sombres rituels des sorciers africains.

***

Cela faisait une vingtaine de jours qu’ils avaient quitté les côtes sénégambiennes. Il leur faudrait encore presque deux mois pour atteindre « Hispaniola », Saint-Domingue l’espagnole. Le trajet de France à Dakar s’était fait sans accroc.
Pendant que le capitaine négociait avec les autorités Ouolofs, les hommes profitaient dans les bordels de ce que les côtes d’Afrique pouvaient leur offrir. C’étaient leurs derniers instants à terre avant un trajet de plusieurs mois en mer. Bien sûr la cargaison contenait toujours des femmes, mais ce n’était pas pareil et il ne fallait pas se faire prendre à abîmer les biens d’autrui.

Le mal de crâne avec lequel le matelot Pierre se réveilla ce matin-là lui rappela que l’escale était également l’occasion de magistrales bitures. Comme celle de la soirée passée. Mais à bord l’alcool de qualité, comme le rhum des colonies, était réservé au capitaine et aux quelques officiers. Les matelots se contentaient d’un tord-boyaux encore plus mauvais que celui éclusé dans les rades minables de Dakar. Le capitaine devait bien se résoudre à ne pas avoir de meilleurs témoignages du massacre de la veille, avec plus de la moitié de l’équipage ivre mort qui n’avait rien vu et rien entendu.

Ils auraient dû faire plus attention aux discours d’ivrogne de ces marins croisés durant l’escale et à leur histoire de monstre. Leurs souvenirs étaient flous mais ces derniers prétendaient avoir chassé le roi des gorilles avec des autochtones un soir de pleine lune. Un monstre qui d’après la légende se tapirait au cœur d’un homme, un homme dont l’absence d’âme laisserait un vide suffisant pour porter ce mal.
Pierre et les autres matelots n’avaient pas porté beaucoup de crédit à ce témoignage empreint de folklore et la soirée avait viré à l’empoigne. Les deux chirurgiens de bord avaient eu beaucoup de travail ce soir-là pour soigner toutes les blessures – heureusement que les corps et les esprits étaient déjà anesthésiés à l’alcool – ; peu d’arcades sourcilières avaient résisté et les chirurgiens avaient également dû retirer de nombreux tessons de bouteille des cuirs chevelus et même soigner quelques cas de morsures.
Mais maintenant qu’ils avaient embarqué le monstre avec le reste des passagers, Pierre regrettait leur incrédulité. La journée avançait et la fouille méticuleuse du navire ne portait pas encore ses fruits. Une quinzaine de marins sur la quarantaine du départ étaient au rapport pour participer au ratissage. Le navire ne comptait donc plus qu’une quinzaine d’hommes de vivants à son bord ; plus le monstre.

***

Les chirurgiens étaient formels. Ils avaient tous deux recompté à plusieurs reprises. Avec le nombre de morceaux éparpillés à travers toute la cale – des bouts de bras encore attachés aux fers et de la chair jusqu’au plafond –, ils avaient finalement compté les crânes. Et le compte y était. Pas un seul esclave n’y avait réchappé. Le monstre ne se dissimulait pas au fond d’un de leurs corps sans âme.
Le tonnelier avait émis l’hypothèse qu’un des corps comptés pouvait être celui d’un membre de l’équipage. Après tout, avec ceux passés par-dessus bord, il était impossible de s’assurer du décompte. Mais aucun d’eux n’était censé se trouver dans la cale de nuit, et cette dernière était fermée de l’extérieur. Le charpentier du bord tenta de mettre tout le monde d’accord ; il était formel, l’écoutille avait été défoncée de l’extérieur : le monstre n’était pas sorti de la cave, il y était entré pour massacrer les esclaves s’y trouvant.
La créature avait pu bénéficier de l’aide de Satan pour rejoindre le pont par magie puis revenir dans la cale en défonçant l’écoutille pour y placer le cadavre mutilé et méconnaissable d’un matelot pour simuler sa mort. Certains semblaient ne s’accrocher qu’à cette hypothèse et à la prière.
Le capitaine avait d’ailleurs réuni les survivants sur l’entrepont pour une prière aux morts. L’aumônier n’avait pas survécu à l’attaque de la veille et il fallait improviser : Notre Père, Je vous salue Marie, une prière à Saint Érasme qui protège habituellement les marins pendant les tempêtes. Chacun jetait des coups d’œil à ses voisins, guettant un éventuel signe de dissimulation du démon. Mais tous s’efforçaient d’être le plus pieux possible ; le salut n’est-il pas promis aux vertueux ?

***

Le soleil commençait à plonger face au bateau et l’inquiétude montait. Ce dernier avait été fouillé de la cale à la poupe sans débusquer aucun passager clandestin. Tout était anormalement calme, laissant présager une autre nuit de tension ; personne n’allait dormir, et personne n’allait se saouler comme la veille.
Mais peut-être le monstre resterait-il caché, repu de la veille. Les traces de dents sur les cadavres trouvés ne laissaient pas de doute : ce n’était pas un massacre gratuit, c’était un festin. Quelques centaines d’esclaves et une vingtaine de marins y étaient passés ; et si la créature avait laissé beaucoup de viande sur les corps, la quantité ingurgitée ne pouvait être qu’énorme.
Tout le monde avait touché la croix et bu l’eau bénite. Le démon n’avait pas été débusqué. Il ne restait donc plus qu’à prier qu’il ne se réveille plus. Le capitaine avait dérouté la course du bateau vers les îles portugaises du Cap-Vert ; à bord il était impossible d’établir une quarantaine pour trouver la personne infectée.
Les marins comptaient sur Saint Érasme le grand thaumaturge pour chasser une nouvelle fois le démon. Ô noble et glorieux évêque, St Érasme, aide dans les maux corporels et protecteur de ceux qui sont persécutés. Car le roulis semblait annoncer le retour de la tempête aussi forte que la nuit précédente, de celles porteuses de mauvais présage.

***

Tout le monde s’était armé. Le capitaine avait le seul mousquet à bord mais ce n’étaient pas les pièces contondantes qui manquaient sur un navire. Pierre avait opté pour une planche de bois de laquelle dépassaient trois clous rouillés, le charpentier pour une portion de lanière en métal qui cerclait habituellement les tonneaux et presque tous les couteaux de la cuisine étaient de sortie.
Les survivants étaient rassemblés sur le pont, regardant le soleil plonger dans la mer, attendant que la nuit dévoilât toute la lumière de la lune déjà pleine dans le ciel. Chacun jaugeait les autres, finissant de faire monter la suspicion qui grandissait depuis l’aube. Et tous attendaient le démon, prêts à en découdre.
Seul Thomas, de son nouveau nom de baptême, l’Africain de l’équipage, observait la scène légèrement en retrait ; avec la même appréhension et sous les yeux tout autant scrutateurs de ses camarades. Mais s’il avait rejoint les blancs et s’était fait baptiser, c’était aussi pour fuir la violence : la violence des Ouolofs à l’égard des leurs qu’ils n’hésitaient pas à vendre en esclaves aux blancs ; la violence de la magie noire qui habitait certains recoins de son continent également. Il se signait avec la ferveur des nouveaux convertis, redoutant l’arrivée du démon et l’affrontement inéluctable.

Le rouge tirait au noir et tous les regards ne cessaient de balayer la scène, à l’affût du premier signe démoniaque. Tous les muscles se contractaient alors que l’ambiance se tendait. Dans la lueur rougeâtre d’un ciel finalement déserté par le soleil, la lune prenait possession de son royaume. Et la lumière que renvoyait maintenant l’astre venait de quitter les yeux du matelot Jacques ; son visage, miroir de l’âme, n’avait plus rien à refléter. L’ustensile de cuisine qu’il tenait si fermement quelques instants auparavant quitta sa main pour tomber sur le pont d’un bruit mat. Aucun doute ne pouvait subsister alors que ses traits se figeaient et que de petits soubresauts commençaient à agiter son corps.
Un coup de feu du capitaine dans le ventre de l’homme en cours de transformation lança le pugilat. Un cercle se forma autour de Jacques qui finit rapidement en un amas de chairs sanguinolentes sous les coups répétés de ses camarades. Il était comme interrompu dans un état intermédiaire, ni humain ni animal. Mais tout laissait à penser qu’il était mort.
La créature ne respirait plus. Mais le diable était fourbe et il lui arrivait de redonner vie aux cadavres. Dans le doute, le capitaine ordonna que la tête fût séparée du corps. Tandis que cette première était installée en poupe pour conjurer le mal, le corps, lui, était jeté en mer.
Thomas, resté à l’écart, était terrifié par ce qu’il percevait au fond des yeux des matelots alors qu’ils nettoyaient le sang de la victime qui les avait maculés ; le regard du malade qui a trouvé l’excuse socialement acceptable pour s’abaisser à ses plus bas instincts.

***

La cargaison était perdue et la carrière des survivants compromise ; mais le soulagement était le sentiment dominant tandis que le navire se dirigeait vers les îles portugaises où le reste de l’équipage pourrait envisager de penser à se reconstruire un avenir. Et la troisième et dernière nuit de pleine lune s’annonçait plus calme que les précédentes.
Tout était rentré dans l’ordre, pourtant l’ambiance était lourde et le soulagement paraissait incomplet. Personne n’avait daigné toucher son souper. L’un des chirurgiens redoutait un début de maladie ; l’autre lui objecta que les événements des deux jours passés étaient la seule raison de ce contrecoup. Rien n’y faisait, le cœur n’était pas à la fête.

Thomas était à côté de Pierre quand la transformation commença. Il tenta de fuir vers le pont, pour y trouver le capitaine et un matelot en cours de métamorphose. Quelques instants plus tard, il plongeait à l’eau pour fuir la quinzaine de singes géants se battant entre eux et mettant le navire en pièces. La noyade l’empêcha de voir les eaux avaler le bateau et les monstres à son bord. Mais c’était peut-être un sort préférable qui lui permettrait probablement d’accéder à une place aux Cieux, là où ceux qui n’hébergent nul démon en leur âme ont le droit d’entrer.

jeudi 18 août 2016

Johnny I hardly knew ye

Nouvelle publiée en CC0 à l'occasion du Ray's Day 2014 (before it was cool... non c'était cool dès la première édition).

Et j'en profite pour annoncer que j'ai publié toutes mes nouvelles déjà disponibles en ligne... Les prochaines publications seront donc des nouvelles que je libérerai en CC0 à l'occasion de la troisième édition du Ray's Day (ce lundi). Ensuite je ne sais pas si je publierai beaucoup, n'étant plus productif et ayant fait le tour de mes nouvelles "publiables" (donc j'ai pas ressorti les merdes illisibles de débutant), mais en faisant le tri je trouverai peut-être...

Johnny I hardly knew ye


Laissez-moi vous raconter mon histoire : elle débute à la sortie d'un hôpital et s'achève par des funérailles, un peu comme la vie mais en plus court. Deux événements séparés de moins de trois semaines qui scellèrent la vie militaire d'un jeune soldat à qui la vie avait probablement trop sourit ; il s'appelait Johnny et n'eut jamais l'occasion d'être plus qu'un figurant. Mais tout d'abord il est nécessaire en préambule d'expliquer un peu le contexte et la raison qui me virent rejoindre ce lit d'hôpital.
Nous venions de remporter la première bataille de Kawelin, dans le système d'Elidon, quelque part dans la galaxie – difficile d'être plus précis, je ne suis pas astrogateur. Le Saint-Patrick avait été envoyé avec le Washington pour écraser la rébellion kaweline dans l'œuf – difficile de préciser le contexte de la révolte, je ne suis pas politologue. Après de longues minutes de feu nourri des artilleries lourdes sur le satellite de défense kawelin et sur leurs croiseurs, l'amiral O'Keefe, en concertation avec l'amiral Hall du Washington, avait lancé les premières vagues de chasseurs. Je me lançai donc à la tête de mon escadrille pour une série de manœuvres visant à mettre hors d'état de nuire les forces adverses tout en limitant au maximum les dégâts. Il fallait mater la rébellion mais endommager le moins possible les infrastructures de la planète en prévision du moment où serait restaurée l'autorité impériale.
Les rebelles n'avaient pas tardé à envoyer leurs propres chasseurs en interception. Le rapport était de cinq contre trois en notre faveur. Suffisant pour espérer atteindre la plupart de nos objectifs ; trop juste pour espérer s'en sortir sans casse.

While goin' the road to sweet Athy, hurroo, hurroo
While goin' the road to sweet Athy, hurroo, hurroo
While goin' the road to sweet Athy
A stick in me hand and a tear in me eye
A doleful damsel I heard cry,
Johnny I hardly knew ye.

Je suis en formation avec Keenan à ma droite et Craig à ma gauche, Irish Rasta entouré de Bear et Mimi se tient sur nos arrières afin de les couvrir. Pendant que les yanks se chargent des chasseurs lancés à notre rencontre, notre objectif est le satellite de défense. Malgré les tirs d'artillerie, leurs batteries continuent de nous canarder. Ça tire dans tous les sens mais, comme souvent dans ce type d'affrontement, peu de tirs font mouche. Mais le but est rarement de descendre un maximum d'ennemis comme le pensent la plupart des bleus désirant se faire un tableau de chasse. C'est comme une partie d'échec : les tirs servent à faire barrage, pousser l'adversaire à la faute, l'obliger à abandonner son objectif. Et là les objectifs sont clairement définis : nous devons faire sauter les batteries de défense, les Kawelins doivent nous en empêcher et les yanks doivent les empêcher de nous en empêcher ; de leur côté, les escadrilles restantes du Saint-Patrick se chargent des croiseurs ennemis, endommagés mais pas encore hors-service. Le principal danger pour nous reste ces batteries de défense du satellite dont les obus à fragmentation peuvent percer la coque de nos chasseurs. Les premiers tirs de barrage adverses ne tardent pas, je gueule mes ordres dans le communicateur « 40° Sud » et Keenan et Craig me suivent en piqué. « Redressez 30° Nord ». Le groupe du rasta répond aux tirs dès que notre manœuvre nous sort de leur ligne de feu. Pendant ce temps, les yanks arrivent en deux groupes de cinq par le flanc tribord, le premier à l'horizon, le second au sud. Un troisième groupe semble s'éloigner pour prendre les assaillants à revers. Je laisse notre escorte vider ses munitions – les nôtres, réservées au satellite, restent au chaud. Comme prévu le comité d'accueil se sépare en deux groupes, le plus petit détachement plonge à notre poursuite tandis que le second tente d'opposer une résistance aux chasseurs du Washington. « 60° Nord-Ouest, en accélération ! » La manœuvre me colle au fond de mon baquet. Mes ailiers me suivent toujours à la trace. Normalement nos poursuivants devraient hésiter avant de nous poursuivre, au risque de se faire allumer au flanc par notre groupe de queue. Juste le temps pour moi d'ordonner une plongée vers le satellite à vitesse maximale. D'après les comptes-rendus lacunaires que j'obtiens par radio, nos adversaires ont plutôt bien joué le coup : ils ont concentré un tir nourri sur Irish Rasta et son unité pour les obliger à rompre leur formation avant de nous prendre en chasse. Malheureusement pour eux, nous avons eu juste le temps qu'il fallait pour mettre suffisamment de distance entre eux et nous et foncer droit au but.
Si les rebelles avaient eu une vraie armée, un second rideau nous aurait attendu bien sagement pour nous allumer. Mais nous avons l'avantage du nombre pour focaliser toutes leurs ressources sur la première escarmouche. Nous arrivons en vue du satellite, à portée de tir de leurs canons. Il faut nous rapprocher encore si nous voulons toucher à coup sûr les points faibles désignés, sans risquer que nos missiles ne soient interceptés. Nous n'avons que quatre missiles légers par appareil pour cinq objectifs prioritaires – les deux paraboles de visée et les trois canons longue portée ayant résisté aux bombardements – et quatre objectifs mineurs – les canons courte portée principalement dédiés à la défense du satellite lui-même. C'est ces derniers qui commencent à cracher leurs obus à fragmentation dans notre direction. J'ordonne l'exécution des manœuvres d'évitement. Keenan et Craig rompent la formation et je plonge en vrille, alternant accélérations et décélérations brutales, virant sans cesse de bord. Ma combinaison m'injecte une haute dose de stimulant afin de garder mes réflexes affûtés alors que mon corps encaisse difficilement les G.
Dans mon communicateur, j'entends le signal de détresse de Craig mais je ne peux pas faire grand-chose. Il tire ses quatre missiles dans une salve désespérée et enclenche son éjection. Alors que sa capsule de survie le ramène en mode automatique vers le Saint-Patrick, deux de ses missiles sont interceptés et explosent à plusieurs kilomètres du satellite ; les deux autres atteignent le satellite mais bien loin du moindre objectif. Plus que huit missiles pour huit cibles, et nous ne sommes pas encore en position favorable pour faire feu.
Plus que quelques secondes. Je prends tant bien que mal des informations sur le statut de Keenan. L'apport d'oxygène est au maximum mais je suis obligé de faire une pause entre chaque mot, me donnant une intonation mécanique ; chaque mot prononcé provoque un haut-le-cœur que je gère avec difficulté. Il me répond avec la même difficulté : il ne se trouve qu'à quelques kilomètres derrière moi sur bâbord, je devrai donc tirer le premier. Un obus éclate à quelques centaines de mètres à peine de mon chasseur. Un choc violent survient, suivi d'un festival sons et lumières sur mon tableau de bord. Je presse un bouton pour désactiver l'éjection automatique de ma capsule – le système ne laisse que deux secondes après la moindre avarie pour être désactivé, une précaution pour rapatrier les pilotes inconscients. Mon aile gauche ne répond plus ; aussi bien le réacteur que les deux missiles qu'elle porte. La console de bord me presse de m'éjecter mais il me reste deux missiles fonctionnels que je m'empresse de programmer sur les deux paraboles de visée – si l'on ne réussit pas à les empêcher de tirer, autant essayer de les forcer à le faire en aveugle. Les deux missiles de gauche menacent de m'exploser au visage. Tout se passe très vite, je lance ceux répondant encore puis m'éjecte sur le champ.

With your drums and guns and guns and drums, hurroo, hurroo
With your drums and guns and guns and drums, hurroo, hurroo
With your drums and guns and guns and drums
The enemy nearly slew ye
Oh my darling dear, Ye look so queer
Johnny I hardly knew ye.

La suite est floue et je ne répète ici que ce qui m'a été rapporté après coup, à mon réveil à l'hôpital, car c'est là qu'est censée vraiment débuter cette histoire. Au moment de l'éjection, mon appareil explosa, probablement à cause des deux missiles restant. Un morceau de tôle vint heurter ma capsule, m'arrachant la jambe gauche au passage. La capsule ne réussit qu'au dernier moment à restaurer le champ de protection qui permit de préserver le peu d'oxygène restant. Difficile de dire ce qui, de la jambe amputée ou du manque d'oxygène, causa ma perte de conscience mais je suis soulagé de n'avoir aucun souvenir d'une si douloureuse blessure. Le Saint-Patrick me récupéra à l'article de la mort. Je passais la semaine suivante en cuve, entre autre jusqu'à ce que s'opère la reconstruction de ma jambe, puis une autre à marcher avec une canne le temps de faire une série de rééducations intensives.
La mission n'était qu'une réussite partielle : une parabole avait été complètement détruite et la seconde endommagée, les laissant aveugles pour plusieurs jours au moins, mais un seul canon avait été mis définitivement hors d'usage. Durant la bataille, un de nos chefs d'escadrille s'était fait descendre sans réussir à s'éjecter. C'est Irish Rasta qui avait été promu à sa place et Keenan se retrouvait être mon nouveau lieutenant. Pour remplacer numériquement Irish Rasta, un nouveau fut affecté à mon unité : Johnny « belle-gueule ». La perte de mon ancien lieutenant était dure à compenser mais ce jeune semblait prometteur. Et surtout l'unité y gagnait sur le plan esthétique : je ne sais pas si vous avez déjà vu un roux de deux mètres avec des dreadlocks mais c'est franchement laid. Johnny, lui, avait tout du jeune premier : grand, élancé, musclé, des cheveux bruns coupés courts, un bronzage qui le démarquait d'une partie du personnel à bord – dans un croiseur spatial on n'a que peu l'occasion de profiter des rayons du soleil ailleurs que sur un écran – et des yeux verts qui devaient faire un ravage sur la gent féminine – et je dois bien l'avouer aussi sur certains hommes. Dans sa vie civile, avant la conscription, il avait été pilote de course professionnel. S'il y a une différence entre nos chasseurs et les véhicules de course, cela laissait tout de même présager de compétences de pilote au-dessus de la moyenne – il avait d'ailleurs fini premier de sa promotion. Une bonne valeur ajoutée potentielle pour mon unité en somme.

Where are the eyes that looked so mild, hurroo, hurroo
Where are the eyes that looked so mild, hurroo, hurroo
Where are the eyes that looked so mild
When my heart you so beguiled
Why did ye scadaddle from me and the child
Oh Johnny, I hardly knew ye.

J'avance, claudiquant sur trois pattes, à travers le dédale des coursives du vaisseau. Les croiseurs militaires ne sont conçus que dans un but fonctionnel : toutes les coursives se ressemblent, baignées d'une lumière trop vive, étroites entre deux parois de métal froid dans lesquelles sont découpées des portes à intervalles réguliers, identifiées d'un simple sigle – l'indice du niveau puis celui du secteur et enfin le numéro de la salle qui se trouve derrière. Même après presque deux ans de service j'ai parfois du mal à retrouver mon chemin lorsqu'il me faut me rendre en un lieu inhabituel. Mais cette fois il n'y a pas de problème, je connais par cœur le chemin qui relie ma cabine à la salle de repos.
C'est là que je rencontre Johnny pour la première fois. Il est engagé dans une partie de carte endiablée avec Keenan, Craig et Emily, quatre verres et une bouteille de whisky bien entamée sur la table. La jeune recrue dégage un charisme naturel presque magnétique. Il se lève et je dois l'arrêter alors qu'il s'apprête à me donner le salut de rigueur. Je suis pour le respect du protocole, mais quand mon unité est de repos je tiens surtout à oublier les désagréments du grade. Tandis que Keenan me présente le nouveau et que Mimi vient déposer un baiser sur ma joue, Craig se charge de me trouver un verre presque propre et de le remplir.
Je m'installe à la table mais décline l'invitation à rejoindre la partie. La bouteille se vide à vue d'œil ; Johnny nous donne des nouvelles fraîches du pays ; Keenan taquine Craig sur la perte de son appareil au cours de la mission ; Craig se vexe ; Mimi semble complètement sous le charme de Johnny ; et moi j'ai l'impression de finalement retrouver un semblant de famille après l'isolement de la cuve. Il ne manque que Bear pour que l'unité soit au complet. Il est probablement endormi dans sa cabine ; il a cette capacité incroyable d'être toujours frais et dispos avec à peine une heure de sommeil, mais dès qu'arrive une journée de permission il dort vingt heures d'affilée ; ce qui lui vaut ce surnom de Bear – l'ours – pour sa faculté à hiberner.
La bouteille de whisky n'ayant pas fait long feu, je me lève pour rejoindre la tireuse à bière et servir cinq pintes de stout. Sur le Saint-Patrick, les militaires au repos ont toujours une raison de trinquer : que ce soit aux morts, aux vivants, au pays, aux nouveaux parents, aux nouveaux arrivants ou aux résultats d'une partie de cartes. L'amertume de la bière est le ciment social du bâtiment de guerre. Nous trinquons donc à l'intégration de Johnny, puis à ma sortie de l'hôpital, puis à ceux tombés lors de la mission, puis à ceux revenus vivants de la mission, puis au cours des tournées successives en l'honneur de tout et surtout de n'importe quoi.
Il n'y avait pas grand-chose à faire pour les pilotes à ce moment, les instances dirigeantes avaient décidé à l'issue de la mission précédente de laisser une chance aux rebelles de se rendre pour mettre fin au conflit par la voie diplomatique. Donc, en attendant que les pourparlers ne s'achèvent, il ne nous restait que le repos et les simulations d'entraînement pour seules occupations. Quelques têtes brûlées avaient hâte que les diplomates échouent pour pouvoir à nouveau en découdre, mais la plupart d'entre nous n'étaient que de simples conscrits qui n'espéraient qu'une solution pacifique pour que le Saint-Patrick puisse rejoindre New-Dublin et revoir ainsi leurs familles.
Au moins cette soirée avait marqué un retour à la normale ; aussi incertaine cette dernière pouvant être. J'aurais peut-être pu la finir dans le lit de Johnny. J'aurais peut-être dû le faire. Il est certain que l'opportunité ne se représentera plus.

Where are your legs that used to run, hurroo, hurroo
Where are your legs that used to run, hurroo, hurroo
Where are your legs that used to run
When you went to carry a gun
Indeed your dancing days are done
Oh Johnny, I hardly knew ye.

Mais aucune solution pacifique ne se dessinait. Les stratèges finirent par comprendre que les rebelles kawelins ne participaient au processus de conciliation que dans le but de gagner du temps pour consolider leurs positions et réparer les dégâts de nos attaques précédentes. Le retour à la voie militaire ne faisait plus de doute.
Je fus convoqué par l'amiral avec les autres chefs d'escadrille dans la salle de briefing. La rééducation s'était bien passée et je marchais sans canne depuis deux jours. J'avais tout de même dû plaider ma cause pour que l'amiral acceptât que je prisse place dans un cockpit en dépit des réserves du corps médical.
Personne ne manquait à l'appel au moment de débuter la réunion, la ponctualité était une qualité essentielle si l'on voulait rester dans les bonnes grâces de l'amiral ; mais je pense pouvoir dire qu'il en va de même dans tous les corps de l'armée, bien que je n'aie jamais servi que sous ses ordres. Le briefing se déroulait en petit comité : l'amiral « Paddy » O'Keefe et son bras droit présidaient la séance ; s'ajoutaient le chef artificier du navire, deux commandants de marines et les cinq chefs d'escadrille dont moi-même.
Le plan était simple, exposé à grand renfort de graphiques et de cartes stratégiques. Nous devions escorter les transports de troupes à travers l'atmosphère dans le but d'encercler la capitale de la planète où le gros de l'armée rebelle s'était replié au milieu de la population civile. Des escadrons de marines et de blindés seraient déployés pour faire plier ces derniers. Chaque escadrille se vit affectée à la protection de deux transports. Mon unité fut chargée de ceux qui déploieraient leur contingent au Sud-Est de la ville. Un positionnement en étoile serait alors installé : Nord, Ouest, Sud-Ouest, Sud-Est et Est. Nous devions nous attendre à une opposition féroce : les Kawelins avaient à leur disposition de nombreuses batteries sol-air et de nombreux avions de chasse, moins puissants que nos chasseurs mais mieux adaptés au combat en atmosphère. Il n'était pas non plus à exclure qu'ils aient recours à des missiles thermonucléaires bien que ceux-ci ne furent pas conçus à l'origine pour l'interception aérienne.
Durant la phase d'entrée dans l'atmosphère, avec les autres chefs d'escadrilles nous dirigerions l'opération. Une fois l'atterrissage accompli nous devions nous soumettre au commandement des troupes au sol pour leur apporter un soutien aérien. Cela jusqu'à nouvel ordre. Les transports emporteraient des ravitaillements de carburant et de munitions pour nous permettre de tenir le siège aussi longtemps que nécessaire. Ils contiendraient également des quantités importantes de drogues, le combat en atmosphère étant encore plus éprouvant pour le pilote que dans l'espace, on ne nous demandait pas moins que de repousser nos limites physiques et mentales au-delà du raisonnable. C'est le lot de tout militaire, il n'y avait pas lieu de se plaindre.
L'opération était risquée, très risquée même. Mais le débarquement au sol était la meilleure option. Maintenir un blocus n'avait que peu d'intérêt contre une planète capable de survivre en autarcie. Et un bombardement de la planète depuis l'espace aurait été bien trop coûteux en vies civiles, et donc particulièrement impopulaire dans l'empire ; les responsables tenaient trop à leurs carrières politiques pour prendre ce risque. Nous envoyer au casse-pipe était donc bien la meilleure option.

I'm happy for to see ye home, hurroo, hurroo
I'm happy for to see ye home, hurroo, hurroo
I'm happy for to see ye home
All from the island of Sulloon
So low in the flesh, so high in the bone
Oh Johnny I hardly knew ye.

Une IA battra toujours un humain pour piloter un chasseur. Mais un humain blindé de drogues a encore ses avantages sur la machine : il conserve cette étincelle de folie que certains appellent instinct et qui peut faire la différence. Bien sûr nous sommes des archaïsmes et s'il n'y avait pas le côté psychologique de la guerre nous ne serions pas là. Mais il n'y a rien de glorieux à vaincre par la technologie, il faut des hommes prêts à se sacrifier, des héros à célébrer, c'est là la tradition.
Et pour être chargé, je suis chargé. L'entrée dans l'atmosphère s'est déroulée non sans difficulté mais le résultat est là : les deux transports sont posés et mes hommes toujours aux commandes de leurs chasseurs. J'ai transféré le commandement au commandant de marine et augmenté les dosages de mon monitoring – un modèle encore plus perfectionné que ceux que l'on peut trouver dans les hôpitaux. De mes sens, seuls l'ouïe et la vue restent en alerte ; mon cerveau n'est plus qu'un ordinateur biologique qui analyse toutes les données et les ordres pour réagir immédiatement. Ma conscience anesthésiée reste en retrait, j'ai l'impression de suivre les événements de loin, comme un film dont je ne suis plus l'acteur. Les autres sens sont en berne heureusement, le corps humain n'est pas fait pour subir de tels sévices et le fait bien sentir. Les reportages de guerre présentent souvent les pilotes comme nous sortant de leur cockpit héroïques, le casque sous le bras. La réalité est bien moins glorieuse : en général après ce type de manœuvre, le pilote doit être extrait par une équipe médicale, baignant dans sa merde et son vomi, et être emmené directement dans une cuve de régénération pour une bonne dizaine d'heures minimum. Je vous passerai donc les détails sur ce qui se passa dans ce cockpit durant ces manœuvres éprouvantes. Des légendes parmi les pilotes circulent sur des personnes ayant conservé leur contrôle au cours de leur premier vol, mais ce ne sont que des légendes. L'un des premiers conseils que l'instructeur donne aux novices est : ne cherchez pas à vous contenir, vous ne retarderiez l'inévitable qu'au prix de terribles douleurs.
Couverture, repli, bombardement, soutien aérien. Je suis les ordres sans me poser la moindre question. Je me contente d'appliquer la meilleure stratégie pour les suivre et transmets les indications à mes pilotes de manière automatique. Les drogues permettent le détachement émotionnel nécessaire à la réalisation de ce qu'il y a à faire. Je suis incapable de dire si l'opération est une réussite, un échec ou un bourbier. Tout ce que je sais c'est que les cibles qu'on me donne explosent, que nous serons bientôt à court de munitions et obligés de nous replier sur le camp de base et que l'appareil de Johnny s'est fait descendre et ne répond plus.
Difficile de dire depuis combien de temps la bataille dure. La perception du temps fait partie de ces choses profondément altérées par nos médications. Mais j'ai dû me replier cinq fois pour faire le plein de carburant, de munitions et de drogues ; on ne doit donc pas être loin d'une journée standard, le soleil a probablement eu le temps de se coucher et de se lever dans l'intervalle de temps, mais ce n'est pas le genre de détail que j'ai le luxe de remarquer.
Un appel sur la radio nous informe de la reddition des insurgés. Nous devons regagner notre camp de base. J'atterris auprès des deux transports de troupes stationnés au point d'atterrissage initial et le monitoring médical de mon appareil m'envoie une dose massive de calmant, contrecarrant les effets des drogues précédentes et me plongeant dans le sommeil en attendant qu'une équipe médicale ne vienne m'extraire de mon cockpit pour rejoindre une cuve de régénération.

Ye haven't an arm, ye haven't a leg, hurroo, hurroo
Ye haven't an arm, ye haven't a leg, hurroo, hurroo
Ye haven't an arm, ye haven't a leg
Ye're an armless, boneless, chickenless egg
Ye'll have to put with a bowl out to beg
Oh Johnny I hardly knew ye.

« Quand tout cela sera fini et qu'on aura une permission sur la planète, je vais me mettre en quête du plus gros cigare possible ! » nous avait déclaré Johnny juste avant le départ, pour sa première et dernière mission, arborant presque fièrement son patch sur l'épaule droite. Tous les vaisseaux sont strictement non fumeur à cause de la fumée qui obstrue les filtres des prises d'air et dérègle son recyclage. Il n'aura pas eu l'opportunité de réaliser ses objectifs mais j'ai eu l'occasion de trouver ce cigare qui trône désormais dans la poche de mon uniforme. Je le fumerai avec le reste de l'unité en pensant à lui.
Je me force à sourire. Si l'on sourit c'est que l'on est heureux. Et par simple inversion de causalité, mon spleen s'éloigne sous l'effet placebo d'un simple sourire. Mais il ne disparaît pas, il se terre juste dans l'ombre, attendant que mes zygomatiques se fatiguent pour revenir hanter mon âme.
Le pont d'envol a été vidé de ses chasseurs et du matériel d'entretien, les drapeaux de l'empire, de la Nouvelle Irlande et du Saint-Patrick ont été dressés de chaque côté. Au centre, une vingtaine de cercueils scellés semblent dessiner une formation d'attaque dirigée vers l'assemblée, c'est probablement la déformation professionnelle de pilote qui me donne cette impression. En pointe un commandant de marines, puis deux chefs d'escadrille, le reste des cercueils contient les restes de pilotes et de marines – même si dans le premier cas la majorité des cercueils sont probablement vides, les corps flottant encore au milieu du vide intersidéral. Tout le personnel du bâtiment est présent, au garde-à-vous, à l'exception du personnel de quart. Une scène quasiment identique se déroule dans le même temps à bord du Washington avec un nombre de cercueils sensiblement supérieur.
La musique des cornemuses et des tambours accompagne les défunts, en route pour rejoindre leurs ancêtres. Dans la tradition de notre corps, les funérailles se déroulent sans un mot, la musique seule parle aux morts et pour les morts. Les tapis roulants qui habituellement placent les chasseurs sur l'aire d'envol se mettent en action, éloignant les cercueils de l'assemblée. Le déroulement est parfaitement chorégraphié, chaque éjection d'un nouveau cercueil à travers un tube de lancement en direction de l'espace s'effectue à l'instant précis où la musique s'arrête pour une brève respiration avant de repartir d'un roulement de tambour, gagnant à chaque fois en intensité, gardant le final pour le grade le plus élevé.
Et Johnny dans tout ça ? me direz-vous. Non, aucun des cercueils n'est le sien. Il fut tiré des décombres de son appareil in extremis, miraculeusement en vie. En vie mais dans un sale état. Du peu que je sais il a perdu un bras, l'usage de ses deux jambes, son corps a été brûlé à plus de quatre-vingts pour cent et les médecins ne se sont probablement pas embêté à compter le nombre de ses fractures. L'armée peut dépenser une semaine de cuve régén et une autre de rééducation pour un chef d'escadrille, mais quand il s'agit de plus d'un mois de cuve et probablement plus d'une année de rééducation pour un simple pilote elle commence à compter ses crédits. Johnny a été renvoyé sur New-Dublin, après avoir été rafistolé juste ce qu'il fallait pour qu'il puisse survivre au voyage, pour être pris en charge dans un hôpital public qui n'aura probablement jamais les moyens de le remettre sur pied. Je ne reverrai probablement jamais Johnny mais je m'en souviendrai, et je réalise que vous ne connaîtrez que peu de choses à son sujet mais finalement je suis dans le même cas, car je ne l'ai qu'à peine connu.

They're rolling out the guns again, hurroo, hurroo
They're rolling out the guns again, hurroo, hurroo
They're rolling out the guns again
But they'll never will take my sons again
No they'll never will take my sons again
Johnny I'm swearing to ye.

(Paroles telles que présentées sur la page wikipédia anglophone à propos de la chanson éponyme (http://en.wikipedia.org/wiki/Johnny_I_Hardly_Knew_Ye), de nombreuses variations dans les paroles et l'ordre des couplets existent.)

mardi 16 août 2016

Routes blanches

Publiée initialement en 2015 sur le madtelier d'écriture sous le titre "La route du travail et la route des vacances".
C'est ici la première publication sous cette forme (qui atténue le côté fan-fiction de Sandman initial).
(Il s'agit de la seule nouvelle que j'ai achevée en 2015, et la dernière aussi...)

Routes blanches


Ça commence par quelques flocons épars. Rien qu’un coup d’essuie-glace de temps en temps ne puisse gérer. Puis le ciel devient encore plus sombre – ce qui ne paraissait pas possible avant –, la neige plus drue complique la tâche des balais sur le pare-brise et la visibilité s’amoindrit un peu plus, ralentissant un peu plus le trafic automobile sur la route du travail – ce qui ne paraissait pas possible avant.
La bouillie d’abord marronâtre sur le bord commence à blanchir et s’épaissir ; on n’y voit plus à cinq mètres et la voiture devant moi, à l’arrêt depuis plus d’une minute, ne semble pas vouloir repartir. Les quelques feux stop qui percent le brouillard sont tous immobiles. Les phares jaunes que j’entraperçois de l’autre côté du terre-plein ne bougent pas plus. Il n’est pas rare que la circulation s’arrête momentanément sur le périph’, mais le phénomène d’accordéon reprend toujours. Il tombe de la neige tous les trois ou quatre ans et à chaque fois c’est la même chose : quelques centimètres et c’est le blocage ; il va falloir s’armer de patience.

Ce spectacle blanc me rappelle ce conte… Il était une fois, dans le royaume boréal, une princesse. Au solstice d’hiver, après sept jours et sept nuits de neige, le château était pris dans les glaces. En ces latitudes, c’était le milieu de la grande nuit et il fallait attendre encore une semaine que le soleil vint percer l’horizon et caresser de ses rayons les pierres de l’édifice. En attendant que la déesse Printemps réchauffât le cœur de son frère-amant le dieu Hiver, la princesse était prisonnière de cette immense statue de glace qu’était devenue sa demeure.

Plus d’une demi-heure : ce n’est plus un bouchon, la circulation est vraiment interrompue. Les panneaux lumineux susceptibles de nous informer sur la situation sont trop loin pour être distingués dans cette purée épaisse qui tombe du ciel. Les congères font désormais presque un mètre de haut et les essuie-glace ne font plus le poids ; je dois ouvrir ma portière pour sortir régulièrement et ne pas tourner claustrophobe, isolé dans l’habitacle de ma voiture.
La radio ne propose que du statique sur toutes les stations. Parfait comme bande son du spectacle extérieur ; loin d’être idéal pour comprendre ce qu’il se passe. Les antennes doivent être ensevelies sous des centimètres de neige. Il doit en être de même pour celles de téléphonie mobile, c’est la première fois de ma vie que je n’ai pas de réseau sur le périph’ ; pour une fois que téléphoner au volant ne serait pas dangereux… Dommage, je ne pourrai pas contacter le client que je devais rencontrer. Bosser sur Paris c’est être dépendant des conditions de transport saturées ; bosser hors de Paris, ça n’existe pas dans ma branche.

Lors de mes sorties régulières à l’extérieur je croise d’autres naufragés de la route. Certains prennent ça avec fatalisme, d’autres s’énervent… évidemment, il serait trop douloureux pour eux de contredire le cliché de l’automobiliste parisien. Il faut bien trouver un responsable, alors ce sera les autorités qui n’ont pas prévu l’inattendu et qui n’ont pas investi en conséquence – sans augmenter les impôts il va sans dire. Ce serait amusant si ce n’était aussi pathétique.

L’essence commence à manquer. Malgré la chaleur du moteur, une fois déblayé il faut moins d’une minute au pare-brise pour être intégralement recouvert à nouveau. Il fait nuit dans la voiture, seuls les voyants du tableau de bord et la lampe de plafond apportent une lumière lugubre.
L’histoire remonte de ma mémoire, comme si elle prenait l’initiative de se rappeler à moi. Les couloirs du château étaient plongés dans le noir, éclairés uniquement par les flammes tremblantes des bougies. La grande nuit avait pris fin et, quand la mâtinée s’achevait, les rayons du soleil venaient frapper la glace qui recouvrait les fenêtres, ne fournissant qu’une faible lueur bleutée. Ses occupants attendaient que la déesse Printemps poursuivît sa cour, elle seule pouvait faire fondre le cœur de glace de son frère.
La princesse avait sculpté dans la glace à sa fenêtre une effigie de Bâtisseur, le dieu aux noms infinis, le façonneur de mondes, le père des quatre saisons ; car c’est lui qui accueillerait son fils en son domaine quand sa fille se détournerait de l’Hiver pour céder aux avances de l’Été ; il en était ainsi dans la fratrie, mais chaque année le père apaisait les jalousies et permettait aux saisons de se succéder. La princesse ne priait pas pour la fin de l’hiver, c’était sa saison préférée, celle où l’art de la glace prenait vie ; elle priait pour que le dieu Hiver ait un sort plus doux.
Je me décide à sortir. Le froid est mordant à l’extérieur, mais l’habitacle ne sera plus un refuge très longtemps. Je pousse avec difficulté la portière, la neige derrière crisse mais finit par céder. Si j’avais attendu plus longtemps je serais sûrement resté coincé ; sans savoir qui de l’épaisseur de neige ou du gel des portes aurait scellé en premier mon cercueil automobile. Je m’enfonce dans la neige jusqu’à mi-mollet ; mes mocassins et mon pantalon sont déjà fichus de toute façon. Mes vêtements ne sont pas adaptés au climat, le froid ne tardera pas à me rattraper. Je ressers ma cravate, ça ne me tiendra pas chaud mais ça empêchera peut-être l’air de rentrer par mon col. Puis je referme jusqu’en haut la doublure de mon blouson.
Je crois que c’est la première fois que je vois le périphérique ainsi : sans la moindre trace de gris. Ce serait un joli décor de carte postale, que j’apprécierais beaucoup plus si je ne devais pas me retrouver immobilisé à me geler les extrémités et le reste.

***

Je ne me souviens pas d’un froid pareil à Paris. Je ne me souviens pas d’un froid pareil tout court. Et je ne suis pas habillé pour les sports d’hiver : mocassins en cuir, une chemise et un blouson sur un costume – pas assez épais l’un comme l’autre. Même lors de mon séjour professionnel à Stockholm en février je ne me rappelle pas avoir subi des températures aussi glaciales.
Je ne suis pas le seul à avoir abandonné une voiture en fin de course. Les véhicules ne risquent pas de bouger avant la fin de l’épisode hivernal, il faut trouver un autre moyen de se mettre à l’abri avant même de penser à rentrer chez soi. Nous sommes plusieurs dizaines à grelotter en nous regardant hagards, attendant que quelqu’un trouve la solution miracle. J’espère que personne n’est prisonnier de sa voiture, mais on ne voit plus que des monticules de neige, impossible de savoir.
Tout le monde se met en mouvement sans qu’une origine ne puisse être clairement déterminée ; plusieurs ont probablement eu la même idée, puis le reste a suivi. La rampe d’accès au boulevard circulaire est pentue et glissante, mais sans équipement d’escalade c’est le seul chemin praticable pour sortir de l’anneau où nous nous trouvons. D’autant qu’une partie non négligeable de la rampe est protégée des tombées par un mini-tunnel : des petites portions de bitume sont visibles par endroit, rappelant si besoin était qu’ici se trouvait auparavant la route que des milliers de gens empruntaient chaque jour. La porte d’Italie n’est qu’à quelques mètres en amont. Les voitures à l’arrêt qui ont glissé et se sont empilées nous fournissent un escalier de fortune sur au moins les deux tiers de la montée, je me dis que dans notre malheur ça aurait pu être pire : qu’est-ce qu’il peut bien arriver à nos homologues bloqués sur une portion aérienne de la route ?
Et cette histoire remonte inlassablement à ma mémoire, comme si je ne pouvais me concentrer sur rien d’autre : Les cheminées du château brûlaient à plein feu, la glace qui l’enfermait commençait à fondre. La princesse observait les stalactites et stalagmites dans lesquels se sculptaient personnages et animaux extraordinaires. Dans cet art résidait la magie de l’Hiver qu’elle admirait tant. Les soldats et les gargouilles de givre qui avaient protégé le palais tout l’hiver se retiraient avec leur maître, rendant ce domaine aux hommes.
Pas moyen de me rappeler d’où je tiens cette histoire qui m’obsède, tandis que notre progression vers la surface se poursuit. La princesse retirée dans sa chambre priait le dieu de rester encore un peu ; que l’hiver se prolonge encore un peu. Il entendit son appel et l’Hiver apparut face à la jeune femme. Il avait l’apparence d’un jeune homme dans la force de l’âge mais avait la perfection d’un dieu, plus beau que dans toutes les fresques le représentant ; ses yeux bleu-gris renfermaient une connaissance et une sagesse qui contredisaient son apparente jeunesse. Il se tenait droit face à elle, enveloppé de voiles de givre qui lui faisaient une ample toge. D’un regard la princesse sut qu’elle ne pourrait plus jamais aimer quiconque ainsi.

Les premiers à arriver sur le rond-point se figent sur place. Ça pousse derrière donc je progresse le plus vite possible, malgré le sol glissant et mes chaussures inadaptées. C’est comme un souvenir d’enfance qui émergerait de mon subconscient : la princesse et le dieu ; mais je ne me souviens pas avoir lu cette histoire, jamais, et personne ne me l’a racontée non plus. Pourtant les mots arrivent limpides dans mon esprit ; ce n’est pas vague, je connais les paroles du conte par cœur. Et comme elles me viennent, je vois les lèvres tremblantes de mon voisin articuler en silence le dialogue qui suit :
« Je peux t’aimer comme tu n’as jamais été aimé. Et jamais je ne te trahirai. Pourquoi pardonner à ta sœur et lui abandonner ton royaume alors que tu sais qu’elle finira par te trahir à nouveau ?
— Pourquoi ? Parce que le monde est ainsi : Automne, ma sœur, ma meilleure amie, se sacrifie pour me délivrer de ma prison, que mon règne puisse venir. Puis j’ouvre mon cœur et la porte du royaume à Printemps. Elle me trahit pour notre frère Été et me fait emprisonner dans le monde de père, dans un songe de neuf mois. Et le cycle revient, ainsi en va ce monde-ci… l’équilibre demande que les saisons se succèdent pour que la vie continue à fleurir.
— Alors ce monde est injuste. Et j’en trouverai un où tu seras libre de m’aimer autant que je t’aime. »

On vit un vrai cauchemar ici et les gens agissent exactement comme on pourrait s’y attendre : pas une trace d’entraide, chacun pour soi. Une fois arrivé en haut, pas un ne s’est retourné pour donner un coup de main à ceux derrière qui continuent l’ascension ; juste quelques pas avant de se figer pour observer le spectacle. On en voit certains d’ici, comme des statues, préférant attendre d’être complètement recouverts de neige. Au début, l’effort physique gardait le corps à une température supportable, maintenant la torture est encore pire avec la transpiration des premières minutes qui semble geler au moindre coup de vent et donne l’impression d’avoir un glaçon glissant dans le dos.
Je finis par atteindre le sommet de notre « Everest » du périphérique parisien. À bout de souffle, j’avance quelques mètres à quatre pattes avant de me redresser. Et là je comprends…
La princesse s’était endormie, car seul dans le royaume du Songe pouvait-elle demander audience à son maître. Elle s’y rendit pour plaider la cause de son bien-aimé auprès de son père. Et bien que réputé inaccessible, il lui accorda quelques minutes de son attention :
« Vous êtes son père !
— Je suis son créateur.
— Et son malheur ne vous touche pas ? Pourquoi le soumettre à telle torture ?
— Pourquoi devrais-je m’en soucier ? Sa tragédie est nécessaire au fonctionnement de ce monde.
— Il est juste nécessaire qu’il laisse la place à sa sœur en temps voulu. Son martyr n’est pas indispensable.
— C’est un dieu, son caractère ne peut pas lui permettre d’accepter le retrait de gré.
— Alors donnez-nous un autre monde. Je saurai le convaincre d’occuper sa tâche ici et le rappeler à moi celle-ci achevée.
— Il faudra remodeler tout le cycle…
— Vous êtes le façonneur de mondes, ce n’est rien pour vous.
— Très bien jeune fille, j’accéderai à votre désir : C’est un défi intéressant. Mais si le cycle venait à se briser je devrais considérer cet accord comme caduc.
— Je vous entends.
— J’ai justement un monde sur le point de péricliter ; il n’a plus sa place dans le Plan et il conviendra parfaitement. »
Le spectacle me coupe le souffle et je m’immobilise immédiatement. Très rapidement le givre qui prend mes pieds s’assure que je ne repartirai pas, comme mes dizaines de voisins en cours de sédimentation. Nous sommes une armée de statues éberluées par le décor, les mâchoires qui ne peuvent pas tomber plus bas, prises dans la glace.
Le rond-point est une patinoire recouverte de monticules de glace et de neige, là où des véhicules ou des gens se sont retrouvés bloqués. Des deux côtés de l’avenue les immeubles ont laissé place aux falaises blanches de glaciers. Le paysage est irréel, il ressemble à ces images du Groenland qu’on peut voir à la télé, sans les inuits… et à Paris. Comme si quelqu’un avait superposé un autre décor par-dessus l’habituel, recouvrant le gris par le blanc.
Et la princesse s’éveilla dans son nouveau monde. Et à ses côtés se trouvait son bien-aimé.
Je commence à perdre toute mobilité, je ne sens plus mes pieds ni mes mains. Mon cerveau ne sait plus interpréter les signaux : froid, chaud, douleur… ? Tout s’emmêle, sensations et pensées. Mes yeux se brouillent, le givre a fini de casser mes cils ; mais avant de perdre complètement la vue ils accrochent une dernière image, le seul mouvement alentour.
Sur ma gauche un couple se tient par la main, entre les deux parois glacées qui entourent ce qui fut la nationale 7, la route des vacances. Scène irréelle, peut-être une simple hallucination : mon cerveau n’est probablement plus correctement irrigué par un sang qui doit commencer à transporter quelques glaçons. Le jeune homme et la jeune femme me tournent le dos, main dans la main ; mais surtout ils sont bras nus. On meurt littéralement de froid ici malgré les pulls et les épais blousons et ils se baladent avec d’amples robes guère épaisses. Et ils s’éloignent sur cette route, sans prêter la moindre attention à tous les gens qui se statufient derrière eux.
Ils se marièrent et furent heureux à jamais dans leur nouveau domaine.
FIN

dimanche 14 août 2016

Bisous dans le cou et viol au couteau

Publiée initialement sur ce blog en je-sais-plus-quand.
Republiée sous cette forme en 2014 sur le madtelier d'écriture.

 Bisous dans le cou et viol au couteau


Les deux adolescentes venaient de passer le seuil du vieux manoir. Le comte les observait depuis un coin obscure. Bien qu'il ai adopté ce pseudonyme, il n'appartenait à aucune lignée donnant droit à un tel titre de noblesse et n'était qu'un squatteur en cette demeure abandonnée. Il prit le temps d'observer ses futures victimes, elles n'étaient pas bien âgées, tout au plus une quinzaine d'années, et sentaient la vierge en quête de romance, ses victimes préférées. Le retour en grâce du mythe du vampire romantique était une véritable bénédiction pour lui. Fini les fans de Buffy se croyant de taille à chasser le vampire, presque fini les gothiques dépravés et leur maquillage à outrance qui lui donnait la nausée et qu'il fallait nettoyer avant de pouvoir consommer. C'était désormais un véritable âge d'or pour lui avec ces midinettes à la recherche du grand amour impossible qui venaient se jeter dans la gueule du loup, aveuglées par leurs fantasmes de romantisme pur et d'abstinence.
 La première des adolescentes était une petite brune, légèrement enrobée ; selon les critères du comte elle était parfaite, contrairement à la seconde, une blonde plus élancée aux vêtements aguicheurs et qui elle était refaite. Il ne pouvait s'empêcher de penser que la chirurgie esthétique aussi jeune devrait être interdite, la qualité du produit était irrémédiablement contaminée. C'est pour cette raison qu'il dégusterait celle-ci en première pour la faim afin de garder le meilleur pour la fin.
 Il était temps de passer au premier acte, les préliminaires : commencer à instiller une atmosphère angoissante, propre à faire monter le sentiment d'insécurité dans l'esprit de ces demoiselles au demeurant fort impressionnables. Il fit se refermer violemment les battants de la porte massive dans un terrible vacarme ; ce n'était pas très original mais l'effet était toujours aussi efficace, et il ne voyait pas de raison d'innover quand les grands classiques avaient fait leurs preuves.
 Deuxième étape : diviser pour mieux régner. Encore une fois le comte s'en tenait aux fondamentaux. Il ne comprenait pas le goût des humains pour les challenges ; lui n'avait de goût que pour le sang et la souffrance et ne ressentait pas le besoin d'innover ; il ne voyait pas l'intérêt de chercher la nouveauté alors que les choses fonctionnaient très bien telles qu'elles étaient. Pour séparer les demoiselles, il usa de son pouvoir psychique, distillant une petite confusion pour leur faire oublier leurs intentions de rester ensembles puis il ne restait plus qu'à suggérer à la première que son nom était appelé en haut de l'escalier tandis que la seconde ressentait le même appel dans la direction opposée.
 S'il avait décidé de commencer par la blonde, il ne voulait pas priver la seconde du spectacle, c'est pourquoi il parti à sa rencontre en premier afin de la capturer. Il l'avait attirée dans la grande salle où il avait l'habitude de prendre ses repas. La salle était immense, vide de tout mobilier, avec un grand âtre. Il se glissa sournoisement derrière elle sans un bruit alors qu'elle explorait la pièce du regard à la recherche de cette voix qui l'avait appelée. Il murmura « derrière » à son oreille et au moment où elle tourna la tête il se déplaça en un éclair pour se retrouver de l'autre côté. Ne voyant rien derrière elle, elle se retourna à nouveau pour se trouver cette fois-ci nez à nez avec son hôte affichant un sourire morbide. Sous le coup de la surprise elle perdit complètement l'équilibre pour se heurter violemment les fesses sur le sol en pierre.
 De toute évidence, le comte ne correspondait pas à ce qu'elle s'attendait d'un vampire ; sa peau était grisâtre, il n'avait pas de cheveux ni de nez, ses dents étaient aussi sales que pointues et son visage était parsemé de rides profondes. Transie de peur elle tenta de se relever pour fuir mais il la saisit alors par la cheville pour la propulser violemment sur le mur le plus proche. Sous le choc, sa jambe droite se brisa, le tibia ressortant ensanglanté au milieu de celle-ci. La jeune fille ne sentit pas la douleur car elle avait immédiatement perdu connaissance, mais le réveil serait douloureux.
 Le comte pris le temps de cautériser la fracture ouverte afin de ne pas gâcher le sang s'écoulant de la blessure, non sans en avoir goûté quelques gouttes qui l'avaient mis en appétit. Il l'attacha ensuite au mur par les poignets avec des chaînes rouillées mais parfaitement solides, entièrement nue, les pieds balançant à quelques centimètres au dessus du sol. Finalement il alluma un feu dans le foyer de la cheminée afin qu'elle ne prenne pas froid. Il avait, dans ses jeunes années de vampire, fait l'erreur de conserver ainsi une victime trop longtemps dans le froid et elle était tombé malade ; les anticorps dans le sang lui avaient conféré un goût acide extrêmement désagréable et il avait été obligé à contre-coeur de se débarrasser de ce produit périmé.
 Maintenant que le copieux déjeuné du lendemain était prêt, il s'était mis en chasse de son repas du soir. Il commença par distiller la peur par petites touches : un courant d'air glacial, le claquement d'une porte, une ombre qui passe à la limite du champ de vision. Tout cela pour l'amener là où il voulait qu'elle arrive. Quand la jeune femme vit son amie attachée au mur, reprenant à peine conscience, la terreur atteint son summum ; elle ne put s'empêcher de lâcher faiblement un « oh mon Dieu ! ». Son amie qui avait retrouvé ses esprits vit le vampire arriver dans son dos mais ne put la prévenir que trop tard.
 Le comte la saisit par les poignets, l'entraînant dans une valse improvisée, la tenant si fort qu'elle ne sentait plus ses mains et se débattait en vain. Finalement il s'immobilisa, la tenant fermement contre lui et l'embrassa sur ses lèvres colorées d'un rouge à lèvre rose bonbon. Elle avait presque arrêté de se débattre lorsque d'un coup de dent il lui arracha une partie de la chaire de sa lèvre inférieure. Il la relâcha alors après avoir pris le temps d'observer avec délectation son visage se transformer sous la douleur. Après avoir sucé le peu de sang qu'il contenait, il recracha le bout de chair sur le sol et dit avec un sourire lugubre : « Je le savais, une couleur plus sombre sur les lèvres vous met bien plus en valeur ».
 La jeune fille à peine libre et prête à abandonner sans remord sa camarade s'était précipitée sur l'unique porte de la pièce qui demeura fermée malgré ses assauts hystériques. Alors qu'il s'apprêtait à retourner à l'attaque, il fut interrompu par la brune qui lui lança : « Vous êtes un véritable malade mental ». Amusé de la remarque, il délaissa un temps sa proie pour se retourner et répondre à celle-ci : « Désolé de vous contredire très chère mais je ne suis absolument pas un malade mental même si cela vous déplait. Un humain qui agirait comme moi pourrait à juste raison être taxé de maladie mentale car agissant contre nature. Pour ma part je suis en parfait accord avec ma nature et ne mérite nullement cette appellation. Les seuls malades mentaux parmi les vampires sont ceux qui vous font fantasmer et qui préfèrent boire du sang animal ou de synthèse par respect pour la vie humaine. Mais je doute que de telles créatures existent, malheureusement pour vous. » Puis, laissant sa détractrice sans voix, il s'en retourna à ses occupations qui continuaient de s'acharner sur la porte.
 Il la saisit par un poignet pour la faire se retourner mais dans un élan de courage elle lui porta un coup de sa main libre, lui infligeant quatre profondes griffures. Il fut amusé de la voir désemparée en ne voyant pas la moindre goutte de sang couler de ces blessures. Elle tenta de porter un second coup mais le comte était désormais sur ses gardes et il l'évita sans problème, rattrapant la main au vol d'un coup de mâchoire. Renforçant sa prise, il finit par lui arracher les quatre phalanges qu'il maintenait dans sa bouche tandis que de l'étreinte de sa main il brisait les os de son autre main en centaines de fragments.
 Submergée de douleur et de haine, la jeune fille criait et pleurait toutes les larmes de son corps sans pour autant abandonner sa lutte et elle continuait de se débattre en lui donnant de violents coups de pieds dans les tibias. Bien qu'il trouva ses tentatives de lutte plus amusantes qu'ennuyantes, il balaya ses jambes d'un mouvement ample du bras et la fit basculer pour heurter le sol dans un choc qui interrompit brièvement ses jérémiades. Il maintint ses jambes en appuyant ses genoux au dessus de ceux de la jeune fille et saisit les chevilles de ses mains avant de tirer un coup sec qui brisa les deux genoux, lui arrachant un cri de douleur jubilatoire. Cependant, malgré ses deux mains estropiées, elle continuait à agiter les bras dans sa direction, comme s'ils pouvaient être du moindre secours contre son assaillant. Pour couper court à ce brassage de vent, le comte abattit le tranchant de ses mains sur les épaules de sa victime et ses bras retombèrent mollement sur le sol dans une position qui semblait bien plus appropriée.
 Elle était désormais à peine conscience et n'était plus agitée que de soubresauts. Il profita de ce moment d'accalmie pour corriger le petit défaut qu'il lui avait trouvé au premier coup d'œil. Après lui avoir arraché son haut-de-corps, il entreprit d'inciser sa poitrine avec un ongle avant de plonger sa main pour en ressortir ce corps étranger de silicone ; il procéda de même avec le second sein avant de laisser les plaies se refermer sous l'effet de sa salive, finissant de lécher l'hémoglobine répandue avant qu'elle ne coagule.
 Le comte n'oubliait pas que la jeune fille au sol était venue chercher l'amour et il s'apprêtait à lui en donner. Bien sûr il ne possédait pas de coeur pouvant alimenter un système vasculaire et était donc dans l'incapacité d'avoir la moindre érection. Mais sa libido était morte avec lui pour laisser place à un goût pour la souffrance, et pour cela il n'avait nul besoin de pénis, les chasseurs de vampires qui lui avaient rendu visite par le passé s'étaient chargés de lui amener tous les ustensiles nécessaires à une soirée réussite.
 Elle reprenait à peine conscience quand il revint avec un sac rempli de ses instruments de torture ; elle gémissait comme si elle n'avait même plus la force de pleurer. Le comte aurait donné cher pour savoir ce qu'il se passait dans sa tête mais la perte de toute empathie faisait partie des contreparties de son immortalité. Pendant ce temps, la petite brune toujours suspendue continuait de hurler et de l'insulter mais ce n'était pour lui que des mots doux qui accroissaient son excitation.
 Pendant qu'il finissait de déshabiller sa victime en lui arrachant ses vêtements, il parcourait son corps avec un pieu de bois, infligeant régulièrement de petites incisions auxquelles il s'abreuvait goulument. Quand il fit pénétrer le pieu dans son intimité, elle retrouva les forces de pousser un cri qui se mut rapidement en une longue complainte. Le vampire se retourna alors vers son autre captive et dit d'un ton amusé : « Je les fait toutes crier, et sans me vanter je sais qu'aucune n'a jamais simulé » avant de partir dans un rire sinistre alors que ses actes redoublaient de violence. Une fois que les possibilités offertes par le pieu furent épuisées, il l'échangea contre un couteau de chasse parfaitement aiguisé.
 La torture s'était poursuivie plus d'une heure lorsque sa victime poussa son dernier soupir dans un râle si tenu qu'il était à la limite de l'audible. C'était le signal que les festivités devaient s'arrêter. Il se dépêcha de finir son repas en plantant ses crocs profondément dans la jugulaire. Il fallait boire le sang tant qu'il était encore frais, le sang était une denrée si périssable et il ne voulait pas en rater une goutte. Il y avait un temps pour les réjouissances et un temps pour satisfaire son appétit et le second était arrivé.
 Sa captive avait arrêté de l'interpeller et se contentait de pleurer à chaudes larmes. Il remit du bois dans l'âtre de la cheminée car son bien-être le préoccupait... Pour l'instant. Finalement, il s'approcha avec un verre d'eau et la força à boire en estimant bon d'expliquer : « Tu ne voudrais pas mourir de déshydratation à pleurer ainsi. » Puis il lui souhaita une bonne nuit, passant tendrement sa main sur sa joue, récoltant ses larmes sur ses doigts. Il s'en alla ainsi, portant les doigts à l'orifice qui lui tenait lieu de nez ; l'odeur de peur contenue dans ces larmes avaient un effet enivrant pour lui. Il n'avait pas besoin de dormir pour sa part, contrairement à la jeune femme épuisée par tant d'émotions, mais il était repu et la vider à cet instant aurait été contreproductif ; elle lui servirait de déjeuné pour le lendemain.
 Il revint dans la nuit alimenter le feu, la demoiselle avait fini par s'assoupir d'un sommeil agité. La danse des flammes projetait une lueur vacillante sur son visage qui avait quelque chose d'hypnotique. Il l'observa, immobile dans un coin de la pièce, attendant qu'elle se réveille. La lumière du matin pénétrait avec mal par l'unique ouverture calfeutrée quand elle reprit conscience. Ses pleurnichements ne tardèrent pas à revenir alors qu'elle n'avait toujours pas remarqué sa présence, cachée dans l'obscurité du fond de la pièce. Cette salle avait l'avantage de n'être que peu baignée par la lumière du jour même lorsque la lucarne n'était pas encore obstruée ; le vampire ne savait pas si l'architecte ayant construit la demeure était parfaitement incompétent ou si les propriétaires l'ayant fait bâtir partageaient son aversion pour le bronzage mais il leur en était grès.
 Quand il se rapprocha d'elle, sortant de l'obscurité totale, et qu'elle l'aperçut, ses larmes s'intensifièrent et elle le supplia « Pourquoi vous ne me tuez pas qu'on en finisse ? » Le comte qui avait fini par s'accoutumer au manque de patience des humains ne se formalisa pas de cette requête et répondit naturellement « Mais rien ne presse ma chère, chaque chose en son temps et au final nous serons tous les deux satisfaits. » et il s'approcha jusqu'à pouvoir plonger ses crocs dans le cou de la jeune fille. Alors qu'il puisait quelques gorgées pour se requinquer il pouvait sentir sur sa peau tendre la douce odeur de la terreur qui la parcourait et ressentit le courant électrique qui la faisait frissonner de ce qu'on appelait communément la « chaire de poule ».
 Quand il la relâcha, elle trouva la force de se débattre, essayant vainement d'arracher ses chaînes, mais ne réussit qu'à se cisailler les poignets et fut rapidement abandonnée par ses forces, plongeant un peu plus dans le désespoir. Il la maintint en vie toute la journée, réussissant à la forcer à boire. Le problème était que les humains ne se conservait que peu de temps, préférant se laisser mourir, et il dut se résoudre à s'occuper d'elle le soir venu. Viendrait ensuite cette période de vache maigre de la semaine où les visites étaient rares, à attendre le prochain week-end que d'autres intrépides arrivent. Mais il aurait bien le temps de se soucier de ça le lendemain.
 Il commença doucement par faire de petites entailles avec ses ongles à différents endroits de son corps, léchant le sang s'en écoulant ; les préliminaires étaient extrêmement importantes et il ne se lassait pas de les faire durer. Sa captive ne bronchait pas, elle semblait avoir décidé de lui refuser le plaisir de l'entendre gémir et elle se retenait, intériorisant la douleur tout en mordant fermement ses lèvres. Mais le vampire savait que les femelles humaines avaient cette tendance à feindre l'indifférence comme technique de séduction et au lieu de lui gâcher son plaisir, cette entreprise n'avait qu'augmenté son excitation et sa soif.
 Quand sa main plongea entre ses cuisses elle n'émit pas le moindre son, fermant les yeux et mordant ses lèvres de toutes ses forces. Les ongles acérés du vampire multipliaient les coupures aux lèvres avant de s'enfoncer plus profondément. Il s'agenouilla et entama un cunnilingus ; le sang avait un arrière-goût de ciprine mais restait potable. D'un coup d'ongle, il lui offrit une excision artisanale qui lui arracha enfin un cri déchirant, comme un condensé de tout ce qu'elle avait retenu jusque là. Le comte prolongea son cunnilingus jusqu'à ce que le flot de sang se tarit.
 Il se redressa et remarqua qu'elle avait les lèvres ensanglantées à force de les avoir mordues si fort et il ne put se retenir de l'embrasser, obligé de saisir fermement sa tête afin de l'empêcher de se débattre. Elle essaya en vain de lui rendre la pareille en le mordant mais sa tentative fut un échec ; elle réussit cependant à le faire reculer et lâcher temporairement son étreinte. Puis il enfonça ses dents dans son cou, laissant le sang couler doucement dans sa gorge.
 Il lui arracha ensuite le téton du sein droit d'un coup de dents et entreprit de s'y abreuvoir. Un psychanalyste aurait probablement vu dans cet acte les manifestations d'une frustration freudienne mais il n'était pas humain et ne voyait dans le sein qu'une partie du corps parfaitement vascularisée et facile à prendre en bouche. Il passa ensuite au second sein car il savait que les femmes aimaient que l'on ne néglige aucune zone érogène.
 Alors que la jeune fille était au bord du malaise, il lui accorda quelques heures de répit afin qu'elle puisse se reposer. Il voulait que cet instant privilégié dure toute la nuit et il se devait de la ménager. Il revint ensuite avec son couteau qu'il avait pris le temps de nettoyer et d'affuter. Encore une fois il ne négligea pas une seule zone érogène, jouant du couteau comme un chirurgien du bistouri, prenant bien garde de ne jamais lui infliger de blessure mortelle.
 L'aube n'était plus très loin quand il sentit qu'elle était sur le point de flancher définitivement. Il planta ses crocs dans son cou et sentit la vie la quitter doucement, accompagnant le sang qui quittait ses veines. Vidée de ses forces elle sembla s'éteindre doucement et paisiblement, ses muscles se relâchant jusqu'à ce qu'elle pende inanimée. Le vampire finit de puiser son sang jusqu'à la dernière goutte prélevable et quand il la lâcha elle vacilla un instant au bout de ses chaînes comme une marionnette au bout de ses fils.
 Il se débarrassa des corps en les incinérant dans la grande chaudière se trouvant dans le sous-sol de la bâtisse. Les vêtements suivirent les corps ; le vampire ne conserva que les porte-feuilles et les téléphones portables. Il n'avait pas lui-même usage de ce type de biens matériels mais il s'agissait de la commission pour la responsable de l'office du tourisme qui lui envoyait tous ces visiteurs dans sa demeure pittoresque, ils les déposerait dans l'entrée où elle pourrait venir collecter sa part du deal.
 En regardant les corps calcinés à travers les flammes, il se dit qu'il serait temps qu'il envoie enfin une lettre à toutes ces auteurs à succès qui avaient fait de lui un fantasme d'adolescente pour leur dire à quel point il était fan et comment leurs œuvres avaient changé son existence.

vendredi 12 août 2016

Le rapport du veilleur

Nouvelle publiée en 2014 sur le madtelier d'écriture (oui, c'est le même titre que la nouvelle précédente, sauf aux majuscules, elle vient de la même session où le titre était tiré par un générateur aléatoire, je trouvais ça marrant de faire deux textes très différents avec le même titre)
Publiée ensuite (toujours en 2014) dans Les Contes Roses vol. 1 (Éditions des Artistes Fous)

Le rapport du veilleur


« Monsieur Duclos, nous attendons votre coopération pour comprendre le déroulé des événements d’hier. Nous espérons de vous un rapport détaillé. »
Il y avait eu un cambriolage dans la soirée et Joël était le veilleur de nuit. Bien sûr la police voulait sa version des faits, après tout il était en faute. Mais l’inspecteur ne se doutait pas de ce que ce mot « rapport » rappelait au veilleur.

***

La soirée était calme et Joël distraitement en train de surveiller les caméras de surveillance après son tour de ronde avec le clébard. Pas de match à suivre à la télé, il avait décidé de passer un coup de fil à Julia ; ses charmes n’étaient pas donnés, mais elle le valait bien.
La nuit était tombée depuis longtemps quand la jeune femme arriva dans la zone industrielle et le visiteur nocturne dans son sillage. Joël l’invita, elle, à entrer après avoir pris la peine d’enfermer le chien dans la petite salle de repos attenante à celle de surveillance. Ce dernier était jaloux et avait tendance à aboyer en permanence quand il avait de la compagnie, utile pour protéger un entrepôt, moins pour s’envoyer en l’air.

À 22h, la langue de Julia tournait autour de la verge de Joël, le chien autour d’un fauteuil et le cambrioleur autour du périmètre. Les mains de Joël allaient le long du cou pour chercher ses seins, celles du l’intrus le long du grillage pour chercher une faille. Tous deux atteignirent leur objectif.
Moins de dix minutes plus tard, Joël entrait en Julia, le cambrioleur dans le bâtiment et le chien dans une nouvelle crise d’aboiements. Elle gémit, le chien également, le temps de reprendre sa respiration entre deux aboiements, mais pas l’alarme que l’inconnu s’était chargé de débrancher.

Le crochet s’immisçait dans la serrure, le doigt du veilleur dans l’anus de Julia. Puis il y eut le déclic, la dernière résistance avait fini par céder. L’arrière-salle venait de s’ouvrir et ils y pénétrèrent. De dépit que ses avertissements soient ignorés, le chien s’en alla au fond de la salle, dans sa panière, quittant la stature à quatre pattes pour s’allonger alors que la prostituée faisait l’opération inverse.
Le cambrioleur finit par trouver ce qu’il cherchait tandis que Joël s’en approchait et que Julia le feignait. Le chien de son côté ne cherchait plus rien, préférant céder à la somnolence.
Le veilleur finit par se retirer de la demoiselle et le visiteur de l’entrepôt. Ce dernier se répandit en auto-congratulations et celui qui était censé l’attraper en humeurs visqueuses sur la poitrine de la professionnelle.

Le cambrioleur mit le contact de sa voiture, Julia sa culotte et Joël du temps à sortir son porte-monnaie. Le premier fila sur les chapeaux de roue et la deuxième un bas en pestant. Rhabillée, la demoiselle tendit la main, Joël un billet et le chien, sorti de sa somnolence, une oreille. Enfin payée pour ses services elle s’en retourna à ses affaires et le veilleur à sa télé ; toujours pas de match au programme, mais des gymnastes en tenues moulantes faisaient l’article d’un nouvel engin de musculation.
Il grattait son entrejambe et le chien à la porte, le veilleur se décida donc à le libérer. Au tour de l’animal de se dégourdir. Il ouvrit la porte, ils étaient seuls et le chien calmé. Durant la ronde ce dernier réalisa que l’entrepôt avait été visité et Joël que sa carrière prenait un mauvais tournant.

***

« Monsieur Duclos ? Votre rapport ?
— Inoubliable.
— Pardon ? »
Ah oui, l’enquêteur attendait une réponse… mais probablement pas la version qui lui avait coûté un gros billet et son emploi.