jeudi 15 septembre 2016

Au mauvais endroit, au mauvais moment

Il s'agit de la première publication de cette nouvelle, qui était vachement mieux y'a trois ans, je n'aurais pas dû la laisser dans un tiroir...

Au mauvais endroit, au mauvais moment


Simon ne réalisait pas bien sa chance. Il était sur le point de devenir le premier être vivant à voyager dans le temps. Des voyages de test avaient été effectués avec des objets, sur des distances de quelques mètres et de quelques secondes. La théorie était à toute épreuve et le professeur Larose était particulièrement optimiste sur l’issue de cette expérience. Il n’y avait aucune raison pour que le transport de « matériel biologique » ne réponde pas de manière identique que dans le cas de matière inerte. Le voyage prévu était on ne peut plus simple : Simon allait être placé dans une capsule pressurisée (les contraintes du voyage temporel peuvent être éprouvantes) et celle-ci allait être envoyé trois heures dans le futur, pour un retour à son point de départ dans le laboratoire. Les contraintes structurelles du voyage étaient moins violentes lorsque l’on ne violait pas celles de causalité ; c’est pourquoi un voyage en avant avait été choisi comme premier test.
Simon ne réalisait vraiment pas ce qu’il était sur le point d’accomplir. Rien d’étonnant, il n’était qu’un rat de laboratoire que rien ne pouvait ébranler.

Alors que tout le monde s’activait dans le laboratoire, le professeur Larose était visiblement anxieux. Simon faisait preuve d’un flegme à tout épreuve. Il avait cependant un peu faim ; les chercheurs avaient décidé qu’il était préférable qu’il fasse le trajet à jeun. Aucune nourriture n’était à portée de nez, alors à quoi bon s’angoisser ; il n’y avait rien qu’il puisse faire alors, comme à son habitude, il somnolait légèrement en attendant que quelqu’un se décide à munir sa cage de nourriture.
Et pendant que tous les laborantins s’agitaient en tous sens, Simon restait impassible, concentré sur la tâche qui l’attendait : rester immobile dans sa capsule.
Puis arriva l’heure H. Et le fourmillement stoppa. Toute activité cessa et tous les regards se tournèrent vers la capsule. Au centre de toutes les attentions, Simon ne se laissa pas impressionner par son nouveau statut de star.
Un assistant du professeur actionna le mécanisme de mise en route de la machine. « Allez, c’est parti, mon kiki ! » Simon ne s’appelait pas « kiki » mais il ne s’en formalisa pas.

L’air était électrique et une odeur d’ozone flottait. Et la capsule disparut. Pas d’éclair de lumière, de détonation ou de « plop », rien. Un instant la capsule était là, le suivant elle avait disparu.
Il n’y avait plus qu’à attendre trois heures pour voir si elle réapparaissait à son point de départ comme prévu. Tout le monde était angoissé et le temps semblait long. Ils auraient pu ne faire un déplacement que de quelques minutes afin de ne pas subir la tension de cette attente. Mais il fallait un délai suffisant pour qu’un examen médical et comportemental du cobaye permette de déterminer le temps expérimenté par ce dernier : était-ce instantané pour lui ou vieillissait-il d’autant d’heures au cours du processus ? Cette dernière hypothèse, envisagée par plusieurs scientifiques, inquiétait car elle limitait grandement l’intérêt pratique de la découverte.
Les yeux étaient rivés sur la pendule. Puis les regards allaient de celle-ci aux montres que chacun portait avant de revenir ; comme pour vérifier que les secondes duraient bien une éternité quel que soit le référentiel utilisé.

Et au bout d’une heure la capsule refit son apparition dans l’espace-temps. Simon avait bien survécu et n’était pas affecté. Tout cela s’était passé en un éclair et il n’avait rien vu ni ressenti en dehors de la faim qui ne l’avait pas quitté.
Dans le laboratoire, le professeur et tout le personnel étaient en suspens. Les regards allaient de la pendule à la paillasse sur laquelle la capsule était attendue. De toute évidence, soit la pendule n’était pas à l’heure, soit quelque chose avait fait échouer l’expérience.
S’il n’avait pas eu l’intellect d’un rat, Simon aurait peut-être prié que quelqu’un réalise que la Terre tournait autour du Soleil. Une centaine de kilomètres par heure c’est peu. Mais pour un rat de laboratoire perdu dans l’exosphère, attendant d’être percuté par un satellite, ce n’est pas rien.

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