Au mauvais endroit, au mauvais moment
Simon
ne réalisait pas bien sa chance. Il était sur le point de devenir
le premier être vivant à voyager dans le temps. Des voyages de test
avaient été effectués avec des objets, sur des distances de
quelques mètres et de quelques secondes. La théorie était à toute
épreuve et le professeur Larose était particulièrement optimiste
sur l’issue de cette expérience. Il n’y avait aucune raison pour
que le transport de « matériel biologique » ne réponde
pas de manière identique que dans le cas de matière inerte. Le
voyage prévu était on ne peut plus simple : Simon allait être
placé dans une capsule pressurisée (les contraintes du voyage
temporel peuvent être éprouvantes) et celle-ci allait être envoyé
trois heures dans le futur, pour un retour à son point de départ
dans le laboratoire. Les contraintes structurelles du voyage étaient
moins violentes lorsque l’on ne violait pas celles de causalité ;
c’est pourquoi un voyage en avant avait été choisi comme premier
test.
Simon
ne réalisait vraiment pas ce qu’il était sur le point
d’accomplir. Rien d’étonnant, il n’était qu’un rat de
laboratoire que rien ne pouvait ébranler.
Alors
que tout le monde s’activait dans le laboratoire, le professeur
Larose était visiblement anxieux. Simon faisait preuve d’un flegme
à tout épreuve. Il avait cependant un peu faim ; les
chercheurs avaient décidé qu’il était préférable qu’il fasse
le trajet à jeun. Aucune nourriture n’était à portée de nez,
alors à quoi bon s’angoisser ; il n’y avait rien qu’il
puisse faire alors, comme à son habitude, il somnolait légèrement
en attendant que quelqu’un se décide à munir sa cage de
nourriture.
Et
pendant que tous les laborantins s’agitaient en tous sens, Simon
restait impassible, concentré sur la tâche qui l’attendait :
rester immobile dans sa capsule.
Puis
arriva l’heure H. Et le fourmillement stoppa. Toute activité cessa
et tous les regards se tournèrent vers la capsule. Au centre de
toutes les attentions, Simon ne se laissa pas impressionner par son
nouveau statut de star.
Un
assistant du professeur actionna le mécanisme de mise en route de la
machine. « Allez, c’est parti, mon kiki ! »
Simon ne s’appelait pas « kiki » mais il ne s’en
formalisa pas.
L’air
était électrique et une odeur d’ozone flottait. Et la capsule
disparut. Pas d’éclair de lumière, de détonation ou de « plop »,
rien. Un instant la capsule était là, le suivant elle avait
disparu.
Il
n’y avait plus qu’à attendre trois heures pour voir si elle
réapparaissait à son point de départ comme prévu. Tout le monde
était angoissé et le temps semblait long. Ils auraient pu ne faire
un déplacement que de quelques minutes afin de ne pas subir la
tension de cette attente. Mais il fallait un délai suffisant pour
qu’un examen médical et comportemental du cobaye permette de
déterminer le temps expérimenté par ce dernier : était-ce
instantané pour lui ou vieillissait-il d’autant d’heures au
cours du processus ? Cette dernière hypothèse, envisagée par
plusieurs scientifiques, inquiétait car elle limitait grandement
l’intérêt pratique de la découverte.
Les
yeux étaient rivés sur la pendule. Puis les regards allaient de
celle-ci aux montres que chacun portait avant de revenir ; comme
pour vérifier que les secondes duraient bien une éternité quel que
soit le référentiel utilisé.
Et
au bout d’une heure la capsule refit son apparition dans
l’espace-temps. Simon avait bien survécu et n’était pas
affecté. Tout cela s’était passé en un éclair et il n’avait
rien vu ni ressenti en dehors de la faim qui ne l’avait pas quitté.
Dans
le laboratoire, le professeur et tout le personnel étaient en
suspens. Les regards allaient de la pendule à la paillasse sur
laquelle la capsule était attendue. De toute évidence, soit la
pendule n’était pas à l’heure, soit quelque chose avait fait
échouer l’expérience.
S’il
n’avait pas eu l’intellect d’un rat, Simon aurait peut-être
prié que quelqu’un réalise que la Terre tournait autour du
Soleil. Une centaine de kilomètres par heure c’est peu. Mais pour
un rat de laboratoire perdu dans l’exosphère, attendant d’être
percuté par un satellite, ce n’est pas rien.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire